Patrick Charlot, Eric Gasparini (éds), La femme dans l’histoire du droit et des idées politiques, 2008

Référence(s) :

Patrick Charlot, Eric Gasparini, Eds. (2008). La femme dans l’histoire du droit et des idées politiques. Dijon : Éditions Universitaires de Dijon.

Texte

Les articles de ce recueil couvrent une période allant de l’Ancien Régime à la fin du dix-neuvième siècle. Le premier par Jean-Marie Augustin détaille les mesures qui protègent les veuves de la spoliation et de la misère et qui varient non seulement entre droit écrit et droit coutumier mais aussi pour ce dernier entre régions. Sans prôner l’égalité des sexes, la reconnaissance générale des droits de la veuve avec ou sans enfants semble indiquer une société raisonnable et respectueuse de l’individu. Mais les autres articles, dans leur majorité, cassent cette première impression de calme bon sens et confirment le grand écart que les hommes ont toujours tenté de maintenir dans leurs relations avec les femmes, grand écart qui oppose la conception qu’ils ont ou qu’ils veulent imposer de l’infériorité intrinsèque des femmes, faibles et incapables de raison et la vie qui les force, qu’ils le veuillent ou non, à s’adapter aux faits et à leur tendance à prouver le contraire, grand écart qui apparaît comme surtout inconfortable pour ces dernières.

Il y a cependant deux exceptions notables. Tout d’abord celle de la misogynie absolue de Proudhon dont Jean Bart fait une description saisissante et glaçante. Elle touche presque au surréalisme quand il décide de s’appuyer sur des mathématiques fantaisistes pour prouver que la femme ne peut être que ménagère et reproductrice ou courtisane. Même son apologie de l’androgynie ne change rien à sa conviction de l’infériorité féminine. L’autre exception, celle de Fourier, se positionne de manière radicale à l’opposé de Proudhon. Patrick Rolland expose sa conception des relations de genre qui paraît encore aujourd’hui très moderne, mettant la femme au cœur du mensonge civilisé en tant que victime, déclarant que sa libération profiterait au corps social tout entier et réussissant même à dépasser le clivage homme/femme en le remplaçant par la multiplicité des goûts. Le problème est qu’il est bien seul.

Et cela malgré deux articles qui révèlent les hésitations d’hommes de bonne volonté. Claude Courvoisier présente Victor Considérant, disciple de Fourier ; il est au départ un défenseur de l’égalité femme/homme et prône l’indépendance par le travail, mais il devient en vieillissant d’une grande prudence sur ce sujet. Bernard Lime dans le second article détaille le parcours de Victor Hugo qui partant d’une vision inégalitaire (la femme est une vigne qui ne peut prospérer sans le piquet qu’est pour elle l’homme) arrive lentement mais sûrement à une affirmation franche de son soutien au suffrage des femmes. Bien que, souligne Lime, il ne passe pas vraiment aux actes.

L’échec retentissant que fut la révolution française en ce qui concerne l’égalité des sexes est mis à jour, ou rappelé dans trois articles. Jean-Jacques Clère décrit et analyse le recul qu’elle entérine par la loi après un premier mouvement égalitaire : déni du statut de citoyen pour lequel il fallait être « bon fils, bon père, bon mari, bon époux » et soumission totale au mari. L’abolition du droit d’aînesse, dans ces conditions, semble une avancée plus pour les citoyens qui règnent sur les femmes que pour elles-mêmes. Frank Laidée détaille, à travers des exemples du Doubs, le rôle alloué aux femmes durant la période révolutionnaire : ajouter une note de charme aux célébrations révolutionnaires par leur présence en robe blanche et rubans tricolores ou personnifier la raison qu’elles ne sont pas censées avoir et la liberté qu’elles n’ont pas. Laidée souligne aussi comment dans les bien connues fêtes des époux, tous les discours étaient adressés aux hommes, même quand ils avaient pour sujet les enfants. Danièle Pingué, quant à elle, décrit cette situation à travers l’exemple des sociétés politiques où le désir évident des femmes de participation est rarement considéré comme opportun même quand il n’enfreint pas leur vocation « naturelle » (vivres et charpie). Exclusion de la plupart des sociétés, insistance sur leur bonne conduite et encadrement strict de leur parole dans les sociétés mixtes et dissolution rapide des clubs de femmes parlent d’eux-mêmes.

On demeure en fait dans la droite ligne de l’article d’Aurélie du Crest, dans lequel elle démontre comment les avancées timides d’avant la révolution ne permettent une meilleure éducation des filles que pour les rendre plus efficaces dans leur rôle assigné de mère et d’épouse. Peu de différence non plus avec les filles du roi envoyées au Canada quand elles sont « convenables à la génération » et « bien saines » pour stabiliser les trappeurs trop indépendants et peupler la nouvelle France. David Gilles énumère les mesures pour vaincre la résistance des hommes peu enclins au mariage et le traitement des jeunes femmes plus ou moins comme une marchandise qu’on rend plus attractive en l’associant à une dot royale.

Jean-Philippe Agresti analyse la demande en séparation de biens en Provence à la fin de l’Ancien Régime qui, c’est vrai, protège la dot de l’épouse. Mais le refus de la loi de prendre en compte les mauvais traitements, la lourdeur de la procédure, la mention de la crainte de femmes complices de leur mari et le fait que dans le cas de la ruine du mari, la dot doit subvenir aux charges du mariage montrent les limites de cette protection. C’est le patrimoine qu’on protège, plus que la personne de sexe féminin. Le statut de la femme marchande publique tel que le présente Ahmed Slimani est presque drôle dans les détails qu’il donne des hésitations entre la doctrine, une vision essentialiste des femmes à la fois dangereuses et toutes de dévouement qui leur interdit d’agir sans le consentement de leur mari, et la pratique (et l’intérêt) qui élabore la notion de consentement implicite du mari, accorde la majorité juridique aux femmes exerçant un négoce (mais pas avec leur époux), leur permet d’agir au niveau commercial et juridique (mais pas de tester).

Et Françoise Fortunet qui se penche sur l’évolution du « travailleur » féminin après la révolution, révèle un autre aspect de l’attitude des hommes envers les femmes, un aspect qui perdure, la manipulation. En effet, les mesures d’aménagement du travail pour les femmes sont ensuite toutes étendues aux hommes, sauf le congé de maternité qui serait au départ un pendant de celui accordé aux hommes pour service à la patrie. On peut noter ici l’ironie du vingtième siècle qui prend le chemin inverse quand, au lieu d’interdire le travail de nuit aux hommes, il l’impose aux femmes, sous couvert d’égalité.

Ces quelques remarques n’ont pas la prétention de résumer ce recueil, mais simplement de donner un aperçu de la richesse de son contenu et de son utilité dans les études de genre par toutes les informations précises qu’il contient.

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Marianne Camus, « Patrick Charlot, Eric Gasparini (éds), La femme dans l’histoire du droit et des idées politiques, 2008 », Textes et contextes [En ligne], 3 | 2009, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/textesetcontextes/index.php?id=173

Auteur

Marianne Camus

Centre Interlangues Texte, Image, Langage (EA 4182), Université de Bourgogne, UFR Langues et Communication, 2 bd Gabriel, F-21000 Dijon

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