Principales caractéristiques de l’élevage et de l’alimentation carnée entre le IIe s. av. et le IVe s. ap. J.-C. en Bourgogne

DOI : 10.58335/shc.201

Plan

Texte

Introduction

Ce que nous proposons au travers de cet article est une présentation de quelques uns des résultats les plus significatifs obtenus au cours de notre doctorat intitulé : « L’élevage et l’alimentation carnée en Bourgogne de La Tène finale au Bas-Empire (130 av. – 325 ap. J.-C.). Une analyse des ossements issus des dépotoirs domestiques ».

Cette synthèse régionale s’inscrit dans la lignée de différents travaux concernant des périodes similaires, menés notamment dans le nord ou le sud de la France (Columeau, 1991 et 2002 ; Lepetz, 1996 ; Méniel, 1984). L’abondance de matériel sur cette zone nous a obligés à ne considérer que les sites d’habitat. Au final, ce travail repose sur l’analyse d’une cinquantaine de sites (Annexe 1), dont les deux tiers sont inédits, soit une centaine d’ensembles chronologiques et près de 195000 restes. L’un des objectifs poursuivi est d’ailleurs la mise à disposition de ces nouvelles études de site et donc la constitution d’un corpus de référence propre au centre-est de la France.

Pour ces périodes, le choix de la région Bourgogne comme zone d’étude trouve un premier intérêt dans son contexte historique, marqué par une longue occupation militaire dans le courant du Ier s. av. J.-C. En effet, la conquête de la Gaule fait suite à une longue et importante présence de l’armée romaine sur le sol bourguignon, lors de campagnes, de stationnements hivernaux, ou de transits (Ferdière, 2005). L’occupation militaire des terres bourguignonnes, et au-delà sur le limes, peut alors être envisagée comme un vecteur précoce et important de « romanisation ».

Un autre intérêt réside dans le positionnement géographique et dans la densité du réseau hydrographique de cette région. En effet, plusieurs descriptions de Strabon mettent en évidence l’importance des voies fluviales, en particulier celle du Rhône, de la Saône et de leurs affluents, dont il souligne la navigabilité, et qui permettent, après quelques courts transits par voies terrestres, d’atteindre les régions plus septentrionales du monde celte, comme la Manche et la Grande-Bretagne via la Seine, la côte atlantique via la Loire, ou la Rhénanie via le Doubs (Strabon, IV, 1). À partir de l’époque augustéenne, si le réseau de transport fluvial continue d’être largement employé, la réorganisation du réseau routier conduit à l’aménagement de quatre voies principales au départ de Lyon qui constituent des facteurs importants de l’intensification des échanges au cours des premiers siècles de notre ère. L’une d’elles, menant à Boulogne-sur-Mer ou à la Rhénanie (division au niveau de Chalon-sur-Saône), suit le couloir Rhône-Saône (Strabon, IV, 6), puis traverse la Bourgogne en direction de Sens.

Ces remarques permettent d’envisager la Bourgogne comme un extraordinaire nœud de communication, autorisant les échanges et le commerce entre les zones méridionales et septentrionales de l’Europe, et donc un passage obligé pour les influences méditerranéennes. Cette région offre ainsi un fort potentiel pour la mise en évidence des différentes mutations en lien avec la « romanisation ».

Ces mutations, qui se font progressivement, concernent de nombreux domaines et peuvent être perçues à travers différents paramètres. L’un d’entre eux est celui du monde animal. Les animaux occupent une place importante dans les sociétés celte et romaine, tant de leur vivant qu’après leur mort. Ils sont, par exemple, employés comme animaux de trait dans l’agriculture, le transport ou le commerce et, à ce titre, jouent un rôle moteur dans le développement de ces activités. Ils constituent également une ressource indispensable pour l’alimentation (viande, lait…) ou pour la fourniture de différentes matières premières (laine, peau, corne, os…). L’analyse de leurs restes, vestiges de repas offrant des instantanés de la vie quotidienne, nous conduit à une histoire de l’alimentation carnée et permet d’aborder, à partir de différentes informations relatives, par exemple, à la gestion des troupeaux ou à la sélection des quartiers de viande consommés, les aspects économiques, sociaux et culturels de ces sociétés.

Notre synthèse a été menée en suivant deux grands axes transversaux. En tant qu’étude diachronique, il s’agit en premier lieu de mettre en évidence dans quelles mesures évoluent les relations entre l’homme et l’animal au cours des cinq siècles considérés et, plus précisément, à partir de la conquête romaine. Entre également en jeu la diversité des habitats et de leurs habitants qui nous amène à préciser les différences apparaissant, d’une part, entre les contextes d’habitat de La Tène finale : habitats isolés, habitats groupés et oppida (Fichtl, 2005 ; Malrain et alii, 2007) et, d’autre part, entre les contextes d’habitat gallo-romains : villae, agglomérations secondaires et villes (Bedon, 1999 ; Ferdière, 2005). L’objectif consistant, plus largement, à mettre en évidence, pour chaque période, de possibles distinctions entre les milieux ruraux et les milieux plus urbanisés.

Variations de la stature des principaux animaux domestiques

La plupart des résultats relatifs aux variations morphologiques des principaux animaux domestiques mettent en évidence des changements concernant à la fois la stature et la corpulence, donc des modifications morphologiques globales des espèces domestiques. Des résultats similaires ont été observés dans différentes régions de l’Empire romain, notamment dans le sud-est de l’Angleterre, bien que ces phénomènes y semblent un peu plus tardifs (Albarella et alii, 2008).

L’analyse comparée des évolutions de la taille des différents animaux résume bien les spécificités évolutives propres à chacune des espèces (Annexe 2). Ainsi, il est intéressant de constater que la plupart des espèces domestiques étudiées présentent une augmentation de leur stature et de leur corpulence dès le IIe s. av. J.-C., même si certaines ont pu en bénéficier plus que d’autres. Les bovins semblent, en effet, avoir bénéficié d’un accroissement relatif plus important que les autres espèces. L’augmentation maximale de leur stature, par rapport à la taille observée initialement au IIe s. av. J.-C. (1,08 m), atteint près de 22 % (1,31 m) aux IIe-IIIe siècles. Les autres mammifères domestiques voient leur stature augmenter, au maximum, de 10 à 12 % par rapport à celle initiale. Pour le coq, la tendance est beaucoup moins nette, l’augmentation maximale étant d’à peine 3 % aux IIIe-IVe siècles. Dans le même intervalle de temps, les chiens vont présenter une plus grande variété de morphotypes, en particulier ceux ayant une taille petite à moyenne, comprise entre 30 et 40 cm.

Le fait que les étendues de variations, pour la grande majorité des mesures considérées au sein de chaque espèce, suivent les mêmes tendances que les valeurs moyennes, indique des changements profonds touchant l’ensemble des populations animales. Ces résultats témoignent de la prépondérance des phénomènes de sélection et d’amélioration des souches indigènes, même si quelques sujets de grande taille, en ce qui concerne les bovins et les équidés, ont pu faire l’objet d’une importation.

L’ensemble de ces phénomènes, dont la transmission des savoir-faire, qui apparait ici prépondérante, trouve une raison d’être dans les mouvements militaires et le trafic de marchandises qui se débutent bien avant la conquête, ou encore dans l’intérêt des élites gauloises pour ces animaux atypiques. Ces améliorations précoces indiquent que les Gaulois du centre-est de la Gaule ont eu, dès La Tène finale, la volonté d’améliorer leurs cheptels, principalement par une meilleure maîtrise des savoir-faire zootechniques qui peuvent se traduire, par exemple, par une meilleure gestion de la reproduction ou une meilleure gestion de l’alimentation, notamment en saison hivernale. Ce dernier point peut en effet expliquer l’évolution importante des bœufs dont la taille, beaucoup plus que celle des autres espèces, dépend de la nourriture (Forest et Rodet-Belarbi, 2002). La capacité à nourrir, entretenir et maintenir les différents cheptels à un optimum implique, outre les connaissances, des moyens économiques conséquents. Les résultats obtenus pourraient ainsi témoigner d’une amélioration socio-économique générale au cours de la séquence.

Bœuf, Porc et Caprinés, à la base de l’alimentation carnée

La large majorité des restes animaux collectés témoigne d’une consommation de la viande, mais aussi de la graisse et des abats. La composition des rejets alimentaires, issus de dépotoirs domestiques, montre que la plus grande part de cette ressource carnée est le fruit de certains mammifères domestiques : bœufs, porcs et caprinés. En effet, entre les IIe s. av. et les IIIe-IVe s. ap. J.-C., ces taxons représentent plus de 90 % du nombre et du poids de restes déterminés.

Les poids de restes révèlent d’ailleurs la prépondérance du bœuf tout au long de la séquence avec, notamment, une remarquable stabilité des proportions, voisines de 60 % du PR3 (poids cumulé des restes de bœuf, porc et caprinés). Le poids de restes représentant plus exactement le rendement en viande que le nombre de restes, il apparaît que l’essentiel de la viande consommée est fournie par le bœuf. Dans cette hiérarchisation des viandes, le porc apparaît comme la seconde ressource carnée, avec des proportions du PR3 variant entre 22 et 33 %. Les caprinés, quant à eux, semblent tenir un rôle moindre dans l’apport en viande, leurs proportions étant comprises entre 9 et 17 % du PR3.

Choix des espèces en fonction des contextes d’habitat

Les tendances générales présentées ci-dessus admettent différentes exceptions lorsque l’on rentre dans les détails puisque, comme nous allons le voir, la diversité des contextes d’habitat, notamment à travers des aspects socio-économiques, induit de fortes variations dans la fréquence de chacun des taxons.

Pour les contextes de La Tène finale (Annexe 3 a), les résultats en poids de restes (PR3) permettent de constater la nette prédominance du bœuf, en particulier sur les habitats groupés et les oppida, signe que la viande bovine tient une place majeure dans l’alimentation carnée à la fin du deuxième âge du Fer quelque soit le contexte. Par opposition, les caprinés semblent constituer un apport carné mineur.

Des distinctions, mieux visibles à partir des nombres de restes (NR3), apparaissent néanmoins entre les différents contextes d’habitat, sans pour autant faire oublier que la viande de bœuf constitue l’apport carné principal.

Ainsi, les habitats isolés constituent le contexte le plus riche en os de porcs, ce qui les distingue très nettement des autres catégories d’habitat. La fréquence de leurs restes y atteint 55 % du NR3 en moyenne. La plupart des ensembles analysés (huit sur neuf) livrent une majorité de restes de porc, extraits aussi bien de fosses que de fossés, avec des proportions comprises entre 44 et 67 % du NR3. Cela témoigne d’une certaine homogénéité entre les différents ensembles étudiés et confirme le rôle relativement important du porc dans l’alimentation carnée des habitats isolés bourguignons. Ces fortes proportions de porc pourraient indiquer des situations socio-économiques favorables, avec la présence d’élites, ou être le reflet de spécialisations, d’origine culturelle ou à but lucratif.

Les habitats groupés (hameaux, villages), quant à eux, présentent un faciès très différent, caractérisé par une forte proportion de bœuf. Leur fréquence y est en moyenne supérieure à 50 % du NR3, devançant nettement celle de porc et celle de caprinés. Les résultats, obtenus sur les cinq ensembles d’habitat groupé pris en compte dans notre étude, présentent d’ailleurs une grande homogénéité, avec des fréquences de bœuf proches de 50 % du NR3 et comprises entre 75 et 80 % du PR3, confirmant la prépondérance de la viande bovine sur les habitats groupés.

Enfin, les oppida se distinguent des précédents contextes par des proportions moyennes en bœuf et en porc proches l’une de l’autre (un peu moins de 40 % du NR3 chacune). La fréquence moyenne de caprinés reste moindre, plus de 20 % du NR3, même si elle apparaît plus élevée sur les oppida que sur les habitats isolés ou groupés. Si le porc est, en moyenne, aussi bien représenté que le bœuf, c’est bien ce dernier qui fournit l’essentiel de la masse carnée, comme en atteste l’importance de sa proportion en poids de restes supérieure à 60 % du PR3. Contrairement aux autres contextes d’habitat, les valeurs moyennes obtenues pour les oppida traduisent mal la diversité des situations. En effet, parmi les cinq ensembles à dominante domestique pris en considération, l’un d’entre eux, notamment, livre une majorité de restes de porc, aussi bien en nombre qu’en poids de restes, ce qui dénote, sur ce site, l’importance de la viande porcine au sein des apports carnés. Dans tous les autres cas, les poids de restes attestent de la prépondérance du bœuf, même si les fréquences en nombre de restes de chacun des taxons peuvent varier d’un site à l’autre. Les variations observées restent difficiles à interpréter et peuvent tenir à des distinctions générales, géographiques ou culturelles par exemple, aussi bien qu’à des considérations plus précises, comme des différences socio-économiques entre les habitants de chaque site, les résultats obtenus n’étant que des aperçus très localisés, tirés de fouilles menées sur des surfaces relativement réduites.

Les sites d’habitat de la période gallo-romaine, tout comme ceux de la fin du deuxième âge du Fer, sont, en moyenne, marqués par la très nette prépondérance du bœuf, entre 60 et 75 % du PR3 (Annexe 3 b). Cela témoigne, pour cette période également, du rôle majeur qu’a tenu la viande bovine dans l’approvisionnement carné des différents types d’habitat. À partir de ce critère, le porc apparaît comme la seconde source de viande, suivi des caprinés.

Sans perdre de vue la prédominance de la viande bovine au sein des assiettes gallo-romaines, les moyennes établies à partir des nombres de restes (NR3) mettent en évidence de nettes différences entre les divers contextes d’habitat.

Ainsi, sur les villae, le profil obtenu diffère selon que l’on considère la pars rustica, marquée par un certain équilibre entre les proportions de bœuf, porc et caprinés, ou la pars urbana, lieu d’habitation du maître, clairement dominée par le porc (45 % du NR3). À partir de ces résultats, la viande de porc semble pouvoir être considérée comme un marqueur de l’alimentation du maître ou des occupants les plus privilégiés de la villa.

Les agglomérations secondaires sont, quant à elles, caractérisées en moyenne par une meilleure proportion de bœuf (40 % du NR3). Autour de ce profil moyen, différentes situations coexistent. Certains ensembles sont marqués par une forte proportion de caprinés, généralement supérieure à 35 ou 40 % du NR3. En revanche, d’autres ensembles, plus nombreux, livrent une fréquence de caprinés moindre, inférieure à 20 % du NR3 dans la majorité des cas, et sont dominés soit par le bœuf, soit par le porc. Ces différences peuvent tenir à des distinctions géographiques, aussi bien qu’à des distinctions socio-économiques, sans que l’on puisse, pour l’heure, trancher avec certitude.

Enfin, les villes (capitales de cités) se démarquent par l’abondance des restes de porc qui représentent près de la moitié du NR3 en moyenne. D’ailleurs, sur un corpus de seize ensembles urbains, quinze présentent une fréquence de porc supérieure à 40 %. En moyenne, le bœuf semble plus fréquent que les caprinés, mais, selon les sites, la hiérarchie entre ces deux taxons peut varier. L’importance relative des porcs en milieux urbains peut être liée à une préférence alimentaire de la part des citadins, ou correspondre à un traitement spécifique, avec, par exemple, un élevage et une consommation in situ, même si cette pratique reste impossible à estimer.

Au final, nos observations sur les habitats gallo-romains bourguignons font état d’une consommation de porc accrue sur les sites, semble-t-il, les plus privilégiés, comme les pars urbanae de villa et, plus encore, les sites urbains, où l’influence romaine est la plus forte.

Productions du vivant et qualité de la viande

La gestion des cheptels et la qualité des viandes consommées peuvent être approchées à travers des critères d’âge et de sexe, les seuls que l’archéozoologie permet d’aborder. L’âge d’abattage détermine en grande partie la qualité de la viande, les jeunes fournissant une viande de meilleure qualité, tendre et savoureuse, tandis que celle tirée d’animaux âgés est de moindre valeur. D’autre part, l’analyse des âges d’abattage, couplée au sex-ratio, permet de mieux apprécier les productions fournies par les animaux de leur vivant.

Le bœuf, une réorientation des productions

Bien que la diversité des élevages bovins se prête assez mal à une approche globale des modes de gestion, l’étude des âges d’abattage, tout particulièrement, met en évidence des distinctions très nettes dans le choix des sujets consommés à partir de la conquête romaine, et donc dans les systèmes d’exploitation dont ils sont tirés (Annexe 4 a).

Ainsi, au cours de La Tène finale et de l’époque augustéenne, les âges moyens, compris entre cinq ans et cinq ans et demi, témoignent d’une certaine stabilité dans l’abattage des animaux. Cela se traduit, quelque soit le contexte, par des proportions relativement équilibrées (50 % plus ou moins 5 %) entre les individus de moins de quatre ans, exclusivement destinés à la consommation, et ceux réformés au-delà. Les rejets de consommation semblent donc refléter une gestion mixte des cheptels, desquels sont tirés, pour moitié, des animaux de bouche et, pour l’autre, une production de lait (les vaches représentant près de 60 % des cheptels) et une utilisation des bêtes pour la traction.

À partir des Ier-IIe s. ap. J.-C., la situation est toute autre, et reste relativement stable jusqu’au début du Bas-Empire. L’âge moyen des sujets consommés est nettement plus élevé, près de 7 ans. L’abattage d’animaux plus âgés montre une certaine régression dans la qualité de la viande ; les sujets réformés, de plus de quatre ans, représentant 60 à 70 % des animaux consommés. Ainsi, les indices relevés au sein des dépotoirs domestiques gallo-romains traduisent une exploitation préférentielle des troupeaux bovins vers des productions dites secondaires : force de traction et production de lait (les vaches étant toujours majoritaires), qui justifient le maintien en vie des animaux bien au-delà de leur maturité pondérale. Ces individus finissent par être consommés en grande quantité, c’est notamment le cas sur les sites urbains, où la viande de bœuf semble presque exclusivement tirée de sujets réformés.

Les changements observés dans les modes de consommation à partir de l’époque augustéenne, et donc dans les systèmes d’exploitation des cheptels bovins dont ils découlent, peuvent être directement reliés à la colonisation. En effet, ces systèmes de gestion, clairement orientés vers l’utilisation des bœufs de leur vivant, sont certainement à rapprocher des activités de transport et de commerce, ainsi que des activités agropastorales, qui s’intensifient à partir de cette période.

Le porc, animal de boucherie par excellence

Les seules productions de l’élevage porcin sont post-mortem et exclusivement à but alimentaire : viande, graisse et abats. Ceci explique que ces animaux soient généralement abattus jeunes, avant ou au moment de leur maturité pondérale qui intervient entre deux ans et deux ans et demi. Seuls, quelques sujets employés à la pérennisation du troupeau nécessitent d’être conservés au-delà.

L’analyse des âges d’abattage témoigne cependant d’un net rajeunissement des sujets consommés au cours de la séquence, passant de deux ans en moyenne, à un an et demi (Annexe 4 b). Ce phénomène dénote une amélioration de la qualité de la viande ainsi qu’une arrivée à maturité pondérale plus précoce, autorisant à abattre les porcs de plus en plus en jeunes. Des améliorations dans les conditions d’élevage, touchant directement à la croissance pondérale, et permettant une meilleure rentabilité carnée, en sont vraisemblablement à l’origine.

Ces résultats témoignent ainsi de modifications dans le système de conduite des élevages porcins au cours de la période gallo-romaine et de la relative rapidité avec laquelle les éleveurs gaulois ont mis à profit de nouvelles connaissances zootechniques pour améliorer leurs troupeaux, et donc leurs rendements. Dans ce cadre, une amélioration de l’alimentation, en particulier durant les mois les plus froids, peut apparaître comme un facteur primordial, pouvant expliquer à elle seule différents paramètres : précocité de la maturité pondérale, corpulence plus importante et, éventuellement, plus grande prolificité des truies permettant un contrôle accru de la reproduction (Étienne et alii, 1983).

Ces améliorations semblent principalement bénéficier aux sites urbains gallo-romains qui présentent les meilleures proportions de porcs de moins d’un an. Elles pourraient être interprétées comme le signe d’une situation économique favorable, les citadins pouvant se permettre d’abattre de jeunes pourceaux qui n’ont pas encore atteint leur maturité pondérale. Elles pourraient également traduire une gestion spécifique de l’élevage porcin liée à une demande de viande plus jeune de la part des citadins. Dans ce cas, une meilleure gestion de la reproduction, avec la mise en place de deux périodes de naissance par an, assurant une production accrue de jeunes bêtes et livrant une viande de grande qualité, pourrait se révéler particulièrement adaptée à l’approvisionnement du milieu urbain. Ce type de gestion est d’ailleurs décrit par différents auteurs latins (Columelle, VII, 9 ; Varron, II, 4).

Les effets de la castration chez les ovins

L’analyse des âges d’abattage n’a mis en évidence que peu de variations dans la gestion des cheptels ovins au cours de la séquence, les âges moyens étant tous de trois ans et demi environ. Cela se traduit par la prépondérance des sujets réformés au-delà de trois ans, entre 60 et 70 % des individus consommés selon les époques, conservés au préalable pour des productions de lait et de laine. Le profil d’abattage des ovins est sensiblement le même sur tous les contextes d’habitat laténiens ou gallo-romains, le plus souvent orienté vers les animaux de réforme. La part des agneaux de moins d’un an apparaît cependant bien plus forte sur les sites urbains et pourrait témoigner, au même titre que les jeunes porcs, d’un statut socio-économique plus enviable et/ou d’un approvisionnement spécifique des villes.

Les principales mutations dans la gestion des cheptels ovins transparaissent des proportions relatives de mâles et de femelles consommés (Annexe 4 c). Ainsi, au cours de La Tène finale et de la période augustéenne, le sex-ratio apparaît relativement équilibré, indiquant que les deux sexes entraient dans l’alimentation en proportions égales. Cela traduit, à l’origine, des productions variées, de laine, de lait, et secondairement de viande ; la grande majorité de l’approvisionnement carné, comme nous l’avons souligné, étant le fait de sujets réformés.

À partir des Ier-IIe s. ap. J.-C., le sex-ratio est nettement en faveur des mâles, castrés pour une large part, qui représentent près de 80 % des sujets consommés quelle que soit la période ou le contexte d’habitat considéré. La castration offre différents avantages, en termes de quantité et de qualité de viande, mais aussi dans la qualité de la laine (Clutton-Brock et alii, 1990). Plusieurs auteurs antiques s’accordent d’ailleurs sur le fait que la principale production sous l’Empire était celle de laine, véritable objet d’industrie et de commerce, les bêtes étant souvent choisies et élevées en conséquence (Columelle, VII, 2 ; Varron, II, 2 ; Virgile, III, 287). L’amplification de cette pratique en Bourgogne au début de notre ère témoigne, au final, des intérêts portés à la production lainière et, secondairement, à la production de viande après réforme des animaux.

Autres animaux entrant dans l’alimentation

Chiens et équidés, un changement de statut

L’analyse des restes d’équidés et de chiens permet d’aborder les côtés culturel et historique de la « romanisation ». Les pratiques alimentaires, hippophagique et cynophagique, sont bien attestées au cours de La Tène finale en Bourgogne, soit par les bonnes proportions de restes d’équidés et de chiens au sein des dépotoirs domestiques (Annexe 5 a), soit par les nombreuses traces de découpe portées par ces ossements, soit par la gestion spécifique dont ils font l’objet. En effet, ces animaux semblent abattus plus jeunes dans le courant de La Tène finale, vraisemblablement dans le but de répondre à une gestion de boucherie. Cependant, leurs consommations reflètent des réalités différentes et leurs statuts d’animaux de boucherie ne peuvent être confondus. Ainsi, la viande de chien, considérée comme un mets de qualité, s’observe davantage sur les oppida, contrairement à celle de cheval, consommée par nécessité, qui signale des situations économiques moins favorables.

La diminution relativement rapide des proportions de chiens et d’équidés, notamment à partir de la période augustéenne, comme la quasi absence de traces de découpe, ou un changement dans la gestion de leur élevage, ces animaux étant conservés plus vieux, laissent envisager la disparition de ces coutumes alimentaires sous l’influence du monde romain. Ces animaux conservent néanmoins une place importante dans la société gallo-romaine à travers différentes activités de leur vivant : transport et traction pour les équidés, compagnie, chasse ou garde pour les chiens, mais qui ne laissent que peu de traces au sein de dépotoirs domestiques. Si la disparition de ces pratiques alimentaires semble affecter l’ensemble des contextes d’habitat, nous pouvons cependant noter leur persistance sur quelques sites, principalement ruraux en ce qui concerne l’hippophagie, et urbains pour ce qui est de la cynophagie. Cette distinction est probablement liée à des différences sociales et économiques, à l’image de la dualité observée au cours de La Tène finale.

La volaille

Un élevage de volaille bien conduit peut devenir une source régulière et abondante de subsistance, livrant des mets délicats, mais aussi de duvet pour composer la literie, ou encore d’engrais. Malgré la place privilégiée qui semble dévolue aux oiseaux de basse-cour dans la vie quotidienne, et plus précisément dans l’alimentation carnée, les restes de volaille (coq, oie, colvert, pigeon et paon) sont rares, voire absents, dans les dépotoirs domestiques de la fin du deuxième âge du Fer ainsi que dans ceux de la période augustéenne (Annexe 5 b).

Inversement, à partir des Ier-IIe siècles de notre ère, la fréquence des restes de volaille au sein des rejets alimentaires apparaît en constante augmentation, pour atteindre plus de 9 % du NRD aux IIIe-IVe siècles. Cet accroissement peut traduire les influences du monde romain, révélant une préférence pour la consommation des oiseaux de basse-cour, ou peut témoigner d’améliorations dans la gestion des déchets de cuisine. Un enfouissement plus rapide, en lien avec un phénomène d’urbanisation, pourrait empêcher la destruction ou le chapardage de leurs os, contrairement aux nombreuses structures ouvertes laténiennes (fossés) qui ne s’y prêtent pas ou peu.

Au cours de la période gallo-romaine, la consommation de volaille semble plus accentuée dans les villae et dans les villes. Cela tient certainement dans la présence de lieux privilégiés pour l’élevage de la volaille dans le premier cas et pour la consommation dans le second. Le coq est toujours le mieux représenté quelque soit le type d’habitat. L’oie, considérée comme un mets de choix, est en meilleure proportion sur les sites urbains et pourrait constituer un marqueur socio-économique au même titre que les pourceaux ou les agneaux. Les pigeons, quant à eux, semblent caractéristiques du milieu rural, vraisemblablement en raison de la présence récurrente de pigeonniers, parfois très importants, sur les villae.

Le gibier à poil

Les mammifères sauvages constituent le groupe le plus important au sein de la faune sauvage. Les espèces concernées sont nombreuses et leur chasse peut être définie de plusieurs manières en fonction des techniques ou des motivations. La chasse peut tenir un rôle dans l’approvisionnement carné, mais également en différentes matières premières (bois de cervidés, fourrure…). Elle peut aussi avoir comme objectif l’élimination de nuisibles, ou bien être envisagée comme une activité sportive (Aymard, 1951). Devant tant de diversité, l’analyse des dépotoirs domestiques ne peut apporter qu’une réponse partielle quant à l’importance des activités cynégétiques.

À l’image de la volaille, et malgré les différents intérêts que peut revêtir la chasse aux mammifères sauvages, ces derniers sont quasiment absents des rejets alimentaires durant La Tène finale (Annexe 5 b). À la fin du deuxième âge du Fer, le gibier à poil, principalement du cerf, apparaît plus fréquemment sur les habitats isolés. Cela, très certainement, en raison de la proximité du milieu naturel qui favorise sa chasse, soit en tant que source de subsistance secondaire, soit dans le but de protéger les cultures.

Ce n’est qu’à partir des Ier-IIe siècles que la proportion du gibier à poil au sein des dépotoirs domestiques croît de manière constante, pour finalement atteindre près de 6 % du NRD au début du Bas-Empire. La plupart des gibiers étant considérés comme des mets de qualité, leur augmentation dans les menus gallo-romains semble aller de pair avec une amélioration économique globale. Les meilleures proportions s’observent d’ailleurs sur la pars urbana des villae et sur les villes. Le cerf constitue l’apanage du milieu rural gallo-romain, tandis que le lièvre apparaît comme un marqueur typique du milieu urbain. À cette époque, la fréquence relativement élevée de gibier s’explique notamment par la présence de nombreux vivaria sur les villae, véritables parcs d’élevage pour animaux sauvages qui pouvaient être très lucratifs (Columelle, IX, 1 ; Varron, III, 3 et 12), ainsi que par le fort intérêt des citadins pour la venaison. D’ailleurs, les fréquences élevées de gibier sur les villes semblent témoigner d’échanges commerciaux privilégiés depuis les campagnes environnantes.

Conclusion

Les quelques résultats présentés ici, morceaux choisis de notre doctorat, permettent, d’ores et déjà, de mettre en évidence l’étendue des mutations qui se produisent dans l’alimentation carnée, la gestion des cheptels domestiques et, plus généralement, dans les relations quotidiennes entre l’homme et le monde animal. Ces mutations sont le reflet des grandes évolutions culturelles, économiques et sociales qui sont étroitement liées à la « romanisation » et qui accompagnent cette période charnière entre l’âge du Fer et la période romaine en Gaule.

Toutefois, cette synthèse, dont est extrait l’article, reste novatrice pour la Bourgogne, ou la France du Centre-est, et d’autres analyses sont nécessaires afin de mieux cerner ces évolutions. Par ailleurs, la prise en considération des seuls sites d’habitat laisse sans réponse plusieurs questions relatives à l’impact de la « romanisation » dans les pratiques artisanales, funéraires, ou cultuelles. Notre travail apporte néanmoins des éléments importants pour la compréhension de la vie quotidienne et constitue une base de comparaison solide avant d’intégrer ces rejets plus singuliers.

La multiplication de leurs études, en poursuivant celles de sites d’habitat, constitue assurément la prochaine étape de l’archéozoologie celte et gallo-romaine dans cette vaste entité régionale du Centre-est, afin d’établir une synthèse générale permettant de mieux cerner les nombreuses mutations en lien avec la conquête romaine.

Bibliographie

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Référence électronique

David Cambou, « Principales caractéristiques de l’élevage et de l’alimentation carnée entre le IIe s. av. et le IVe s. ap. J.-C. en Bourgogne », Sciences humaines combinées [En ligne], 6 | 2010, publié le 01 septembre 2010 et consulté le 28 mars 2024. DOI : 10.58335/shc.201. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=201

Auteur

David Cambou

Docteur en Archéologie, ARTEHIS - UMR 5594 - UB