Le moraliste et les images. Recherches sur l’expression emblématique chez Jean Baudoin (ca. 1584-1650)

DOI : 10.58335/shc.329

Résumé

La thèse est consacrée à l’œuvre de Jean Baudoin (ca. 1584-1650). Cet auteur et traducteur très abondant fut d’abord lecteur de Marguerite de Valois, il fit partie de la maison du cardinal de Richelieu et fut un protégé du chancelier Séguier. Dès 1634, il rejoignit les premiers membres de l’Académie française et participa à la rédaction de ses statuts. Ce travail se propose d’aborder dans un premier temps la façon dont Baudoin n’a eu de cesse de mettre sa personne et son œuvre au service du renforcement et de l’affirmation de la monarchie française et de l’édification du lecteur. Dans un second temps nous nous proposons d’aborder le renouvellement de la forme emblématique dans l’œuvre de Baudoin à travers trois ouvrages majeurs Les Fables d’Esope Phrygien, l’adaptation de l’Iconologie de Ripa et le Recueil d’Emblemes divers.

Plan

Texte

Introduction

Le choix de ce sujet de thèse est le fruit d’une longue maturation. C’est d’abord par l’Iconologie de Cesare Ripa et par la Mythologie de Natale Conti, que nous avons appréhendé l’œuvre de Jean Baudoin, lors de notre maîtrise consacrée à l’iconographie de Minerve dans l’art français du règne d’Henri IV au règne personnel de Louis XIV. Notre intérêt pour le premier XVIIe siècle français, ainsi que pour les liens entre art et politique, de même que notre inclination pour les relations entre discours et image nous ont confortée dans ce désir de consacrer notre thèse à l’expression emblématique à travers l’étude de trois ouvrages fondamentaux de Baudoin à cet égard : les Fables d’Esope Phrygien, l’Iconologie et le Recueil d’Emblemes divers.

L’expression figurée étant indissociable du reste de son œuvre, nous avons choisi de consacrer notre travail à l’ensemble de la personnalité de Baudoin. Sa réflexion sur le symbole et l’image s’est construite par le bais de certaines de ses traductions comme la Mythologie de Conti ou La Sagesse Mysterieuse des Anciens du chancelier Francis Bacon. Ses traductions de Tacite n’ont pu qu’orienter ses conceptions politiques, celles de Sénèque lui ont permis d’exposer ses vues morales. Toutes ces préoccupations sont exprimées dans le Recueil d’Emblemes divers. C’est donc l’étude de l’ensemble de son œuvre qui permet d’appréhender sa mentalité et son système de pensée. En outre, l’exemple de Jean Baudoin fut particulièrement intéressant pour l’étude du genre emblématique dans la mesure où il s’est essayé à donner des échantillons considérables des différents genres de la littérature symbolique au public français et où il a peu à peu compris le parti que l’on pouvait en tirer en faveur d’une didactique moraliste.

Les pièces liminaires, les annotations de Baudoin et les archives nous ont ainsi permis de comprendre sa pensée et sa méthode pour actualiser ses traductions. L’œuvre de Baudoin peut être définie comme un programme intellectuel pour le nouvel honnête homme qui doit se relever des guerres de religion. Par ses ouvrages il propose un consensus moral national en essayant d’aplanir les conflits qui pourraient encore perdurer et propose une nouvelle vision politique. Par la traduction, Baudoin œuvre à une union intellectuelle de l’Europe en réunissant sous la bannière de la littérature française les ouvrages qui, depuis l’Antiquité jusqu’à la période moderne, lui paraissaient remarquables. Il réunissait ainsi une république des Lettres autour de lui. République des Lettres qu’il n’hésita pas à convoquer dans le Recueil d’Emblemes divers.

Notre propos fut d’abord de définir le cheminement de Baudoin de la littérature à l’expression symbolique. Nous avons d’abord cherché à le situer dans son époque et à montrer comment son parcours personnel avait pu influencer son œuvre. Aussi a-t-il fallu compléter les informations déjà disponibles par de nouvelles recherches dans plusieurs fonds d’archives, qui ont livré plusieurs documents nouveaux. Nous nous sommes donc attachée aux traductions de Baudoin qui nous ont paru indispensables à une bonne compréhension de son entreprise « iconologique ». Non seulement il fut le « passeur » de Cesare Ripa en France – et aussi bien indirectement d’auteurs comme Jacob a Bruck et Rollenhagen – mais on peut voir dans son approche de la traduction « littéraire » le modèle de l’autre transposition, celle qui fait « passer » le langage du texte dans le langage de l’image. Du discours à la figure, c’est une « translation », une traduction qui est à l’œuvre. Aussi nous sommes-nous attachée à repérer ce processus dans ce que nous avons observé ou entrevu de la réalisation de ses livres à figures, sans oublier les frontispices.

La seconde partie de notre travail est consacrée à l’empreinte emblématique dans l’œuvre de Baudoin. Nous y avons étudié les trois ouvrages fondamentaux de sa littérature emblématique : les Fables d’Esope Phrygien, l’Iconologie et le Recueil d’Emblemes divers. En essayant de percevoir la façon dont chacune de ces œuvres lui avait permis d’élaborer sa pensée intellectuelle, morale et politique, notre objectif était également d’étudier le rapport de Baudoin aux différents genres symboliques et à l’image. Nous souhaitions aussi préciser comment il avait voulu par le biais de l’Iconologie mettre au service de la monarchie un nouveau vocabulaire, universellement compréhensible, qui avait pour fin la codification de la représentation du pouvoir et de la figure royale. Notre propos fut quelque peu différent pour le Recueil d’Emblemes divers puisque nous avons surtout insisté sur les sources textuelles et iconographiques de celui-ci et leur identification. Nous avons en effet établi des notices de chaque emblème dans le but d’identifier et de recenser les sources littéraires du recueil, ses sources emblématiques. Nous les avons complétées par une étude des gravures, dans une démarche qui s’apparente à la recherche des sources et des modèles dans les arts visuels, indispensable à l’analyse de leur mise en œuvre, voire de leurs manipulations. Nous nous sommes également proposée dans ces notices de faire le lien entre les emblèmes de Baudoin et ce qu’Anne Spica a qualifié de genres para-littéraires de l’emblématique et notamment l’Iconologie et les Hiéroglyphiques de Valeriano. À la suite de l’élaboration de ces notices, nous nous sommes surtout consacrée à la manière dont Jean Baudoin a adapté ces différentes sources, ayant une façon à la fois traditionnelle et neuve de convoquer les autorités et les modèles.

L’itinéraire de Jean Baudoin, vers la langue des images

L’évolution de l’œuvre de Jean Baudoin a été conditionnée par le contexte historique de la fin du XVIe siècle. Né à Pradelles, dans le Vivarais, probablement en 1584, il fut durablement affecté par les conflits religieux qui avaient ravagé la France dans son enfance. Même si nous ne connaissons pas la date exacte de son entrée dans les lettres, il fut vraisemblablement présenté à la reine Marguerite de Valois avant 1605 lors de son exil à Usson. Nous pouvons affirmer qu’il était à son service en 1607 ; en tant que lecteur, lui apprenant l’espagnol1. Dès 1609, Baudoin n’eut de cesse de mettre son art et sa personne au service du roi par des ouvrages tels Les paralleles de Cesar et de Henri IV2. Il débuta dans les lettres au moment où il fallait reconstruire, élaborer une morale pour un consensus politique autour d’Henri IV.

Baudoin est un véritable polygraphe, il publia plus de 86 ouvrages parmi lesquels 17 œuvres personnelles et 60 traductions. La voie de la traduction dans laquelle il s’engagea dès le début de sa carrière lui permit d’élever la langue française. Ses traductions d’après cinq langues – par ordre croissant : le grec ancien, l’anglais, l’espagnol, l’italien et le latin – montrent qu’il souhaitait mettre à la portée du plus grand nombre les textes fondamentaux de la littérature européenne contemporaine comme la Jérusalem délivrée du Tasse3, les œuvres du chancelier Bacon, l’Arcadie de Philipp Sidney4, ou encore les textes religieux diffusant la nouvelle doctrine tridentine. En homme de son temps, Baudoin accordait une plus grande importance aux langues vernaculaires, mais ce qui l’intéressait particulièrement était de procurer à la France une langue forte et ainsi de contribuer à l’unification du pays et de faire du français une langue majeure, voire même la langue dominante de l’Europe. C’est dans cette optique que son intégration, dès 1634, parmi les premiers membres de l’Académie française prend tout son sens et qu’il était parfaitement légitime pour participer à la rédaction de ses statuts.

Cet intérêt pour les langues et la traduction lui valut d’être envoyé en Angleterre par Marie de Médicis au début des années 1620, afin de traduire le roman pastoral de Philip Sidney, L’Arcadie de la Comtesse de Pembroke ; traduction par laquelle il obtint le titre d’«Interprète du Roi en langues estrangères ». Ses publications religieuses, politiques et historiques lui ont permis de se faire une place auprès de ceux qui comptaient sur le plan politique. C’est ainsi qu’il réussit à pénétrer le cercle des proches de Richelieu vers 16275 et qu’il fit partie du réseau resserré du cardinal au début des années 1630, puisqu’il est identifié comme son valet de chambre en 16316. À cette même époque, il entra également au service du chancelier Séguier et fut pensionné sur le Sceau pour avoir participé à la lecture-censure des ouvrages qui étaient soumis à la chancellerie7. Auprès de Richelieu, il faisait partie d’un groupe de plumes qui avaient pour mission d’informer l’opinion sur sa politique et surtout de la rallier à sa cause. Ce sont ces diverses attributions qui lui permirent d’obtenir dès 1627, le titre de « Secrétaire du roi », puis en 1632, celui de « Secrétaire de la chambre du roi », en 1636, celui d’historiographe de France et en 1644, il fut nommé historiographe du roi. Sa production littéraire l’aida ainsi à construire et à théoriser au fil de ses pièces liminaires, dans les marginalia et surtout dans ses annotations, la conception qu’il se faisait du pouvoir et qui s’incarnait dans le très catholique roi de France, Henri IV, puis Louis XIII et dans la personne de son principal ministre. Il se mit ainsi au service de l’affirmation de la monarchie et de la consolidation du pouvoir.

L’objet de la thèse n’était pas d’étudier toute l’œuvre de Jean Baudoin, mais il nous appartenait d’en souligner la portée d’ensemble. Il nous fallait le situer dans son époque et définir comment son parcours personnel avait pu influencer son œuvre. N’oublions pas qu’il fut l’un des premiers à diffuser le genre romanesque8 et même s’il ne le revendiquait pas, il écrivit lui aussi quelques romans et nouvelles. Ainsi c’est lui qui introduisit en France les œuvres du chancelier Bacon, l’Iconologia de Ripa9 et par là même le genre iconologique qui connut une fortune considérable dans tous les domaines de l’activité artistique. Il est regrettable que notre époque ne retienne essentiellement de Baudoin que les poncifs développés dès la fin du XVIIe siècle le présentant comme un traducteur ne travaillant que pour subsister, enchaînant sans passion la modernisation de vieux textes tombés en désuétude, mû parfois par l’envie de donner un livre nouveau aux lecteurs, mais ne parvenant jamais à atteindre le niveau de l’original et qui serait mort de « faim et de froid ». Cependant son attachement à son art et la haute idée qu’il s’en faisait, de même que les récompenses financières qu’il recevait pour son travail par l’attribution de privilèges en son nom propre lui conféraient une véritable reconnaissance en tant qu’auteur. En outre, « à cette époque, les effectifs de ceux qu’on pourrait qualifier d’écrivain de carrière restent régulièrement restreints : quelques dizaines seulement publient chaque année un véritable livre »10, Baudoin publiait deux à trois ouvrages par an, ce qui fait de lui l’un des premiers « écrivains » français. Baudoin était un intermédiaire entre les humanistes du XVIe siècle et les moralistes de la fin du XVIIe siècle. Il cherchait à dévoiler à ses lecteurs la sagesse que l’on peut extraire de la littérature, les enseignements nécessaires afin de mener une vie honnête. De son point de vue, la littérature et plus encore les ouvrages historiques devaient façonner les mœurs des lecteurs. Tout comme les humanistes, il encourageait à la méditation morale. Dans ce dessein, l’image jouait également un rôle fondamental, puisqu’il comprit très tôt la puissance signifiante de celle-ci à des fins politiques.

L’empreinte emblématique dans l’œuvre de Jean Baudoin

C’est peut-être parce qu’il avait perçu l’universalité du langage de l’image, que Baudoin a commencé à s’intéresser à elle. En effet, son parcours fut atypique, rien ne le destinait à consacrer tout un pan de son œuvre à la littérature symbolique et à la « science des images » ou iconologie au sens premier du terme. Il était entré dans les lettres par des traductions tout à fait conventionnelles. Mais sa première tentative d’interprétation iconographique fut cependant relativement précoce, puisqu’en 1614 il s’essaya à l’occasion des fêtes données en l’honneur de la majorité de Louis XIII11 à l’interprétation symbolique des feux d’artifice en ayant recours aux Hieroglyphica de Pierio Valeriano12. Mais il n’y parvint que par approches successives ; il s’intéressa d’abord aux mythes à travers La Sagesse Mystérieuse des Anciens de Francis Bacon13 en 1619 et la Mythologie de Natale Conti14 en 1627, puis à la fable ésopique15 à partir de 1631. En 1636, il diffusa pour la première fois en France l’Iconologia de Cesare Ripa. Plus qu’une traduction, cette adaptation donna une nouvelle perspective à sa carrière, puisque c’est par le biais du vocabulaire allégorique qu’il parvint à l’emblème en publiant en 1638-1639 son Recueil d’Emblemes divers16. L’approche de la littérature symbolique de Baudoin avait sans aucun doute été conditionnée par sa pratique de la traduction. En passant si aisément d’une langue à l’autre, il s’était préparé à passer de la traduction littéraire à la langue des images. Un autre attrait de la littérature symbolique pour Baudoin fut le fait qu’elle recelait un héritage humaniste considérable pour lequel il témoigna un vif intérêt comme nous le voyons à travers ses traductions de Juste Lipse. Tout au long de sa carrière Jean Baudoin a été « hanté par le goût de l’explication symbolique »17. Il n’a en effet jamais cessé d’émailler les annotations de ses traductions de références à la Fable. Il la considérait comme un langage lui permettant de s’adresser à ses lecteurs sous une forme détournée, mais souvent ressentie comme plus agréable, voire plus ludique, afin de leur dévoiler la vérité. Il en dégageait également des préceptes qu’il se faisait un plaisir de leur offrir afin de les aider à mener une vie honnête. Les traductions de La Sagesse Mystérieuse des Anciens et de la Mythologie, œuvres dans lesquelles il puisa afin d’acquérir une véritable connaissance de la littérature mythologique, ancrèrent d’avantage Baudoin au cœur même de la Fable en lui permettant de s’approprier un état d’esprit et un matériau essentiels dans la poursuite de son œuvre. Ce qui le conduisit un peu plus vers la littérature allégorique, voire même déjà emblématique.

Il est difficile de savoir s’il s’agissait d’une progression d’un genre à l’autre de la littérature symbolique, fruit d’une lente maturation, ou si l’emblème avait été l’objectif initial, devant lequel Baudoin avait reculé, freiné par une certaine timidité. Il y serait alors revenu par des chemins détournés, comme s’il gravissait à chaque fois des échelons supplémentaires vers les sommets de l’expression symbolique. Cette inhibition était probablement due à la rareté des nouvelles publications de recueils d’emblèmes français depuis les années 1570. Dès la publication de l’Emblematum liber d’Alciat en 1531, le genre avait connu en France un rapide développement avec la publication de l’Hecatomgraphie (1540) de Gilles Corrozet, le Theatre des bons engins (1540) de Guillaume La Perrière ou sa Morosophie (1553), l’Imagination poetique de Barthelemy Aneau (1552), jusqu’aux Emblemes ou devises chrestiennes de Georgette de Montenay publié en 1571. Puis les événements politiques et religieux qui avaient bouleversé les milieux de l’édition et conduit les de Tournes ou Christophe Plantin à quitter Lyon pour se réfugier à Genève ou à Anvers mirent un frein à la publication des livres d’emblèmes18. Mais il ne s’agissait pas d’une désaffection pour le genre, puisque de nombreuses rééditions approvisionnaient le marché européen. Baudoin fut donc l’un des restaurateurs du genre en France et c’est à ce titre qu’il a retenu notre attention. Comment comprendre, après une aussi longue stagnation, le retour en France d’un mode d’expression qui avait continué d’occuper la scène européenne, avec de brillantes réalisations notamment dans les Flandres et l’Empire ? Quelle avait été la part prise par l’académicien, le fidèle de Richelieu, dans ce renouveau et quels en étaient les motifs et les enjeux ? Telles sont les questions qui nous ont accompagnée dès le début de la présente étude.

L’intérêt de Baudoin pour l’image a sans doute d’abord été pragmatique, puisque la gravure accentuait l’idée d’une large diffusion. Puis il a vraisemblablement été convaincu par cette idée de référence commune qui lui permettait presque de constituer à travers ses ouvrages de littérature symbolique une bibliothèque commune illustrée. Ce qui se vérifie par la fortune inattendue de l’Iconologie de Ripa qui, après quatre siècles est toujours utilisée par les étudiants.

Enfin, c’est par la littérature symbolique qu’il a proposé aux artistes un véritable vocabulaire servant le discours encomiastique. En effet, en adaptant l’Iconologia de Cesare Ripa, Jean Baudoin, a introduit en France un nouveau genre littéraire et a contribué à mettre le vocabulaire allégorique au service de l’art français. Cette traduction fut un acte fondateur d’une nouvelle forme d’éloge de la monarchie. Même si l’allégorie avait de tout temps été utilisée dans la valorisation du pouvoir, c’était la première fois qu’elle était ainsi codifiée et destinée explicitement à un tel discours. Baudoin, à l’instar de Ripa, souhaitait propager la sagesse et la culture antiques et il voulait offrir au lecteur, ainsi qu’aux artistes, un ouvrage se présentant comme une sorte de miroir du monde. Baudoin, s’emparant de ce trésor d’érudition, a eu en vue la codification mise au service d’un système de la célébration. Baudoin par son adaptation de l’Iconologie proposait aux « Orateurs, Poëtes, Sculpteurs, Peintres, Ingenieurs, Autheurs de Medailles, de Devise, de Ballets & de Poëmes Dramatiques » des représentations nouvelles fondées sur le vocabulaire des Anciens permettant de renouveler les codes du panégyrique en adéquation avec la pensée moderne. Plus que cela encore, l’allégorie lui permettait de créer un vocabulaire universel, compréhensible dans tout l’occident chrétien et mettant à la disposition d’un jeune roi de six ans, Louis XIV, toutes les clefs afin de concevoir une figuration renouvelée incarnant sa prééminence et montrant à l’Europe la supériorité de la France.

Ainsi que Baudoin l’écrit dans la préface des Droits et Prerogatives des Rois de France « pour apprendre à déduire [ses] pensées [il s’]exerce depuis vingt ans à traduire celles des autres »19. Le Recueil d’Emblemes divers, dernier objet de cette recherche, serait donc l’aboutissement de ce long travail sur lui-même où pour exprimer sa propre philosophie, il s’est nourri des pensées des auteurs qu’il a traduits. Ce qui explique la juxtaposition des sources qui mises bout à bout créaient une mosaïque délivrant un message conformément à la définition de l’emblème. Notre étude du Recueil d’Emblemes divers nous a donc conduite à entreprendre une recherche des sources des emblèmes. Ce travail, souvent difficile, mais plus que nécessaire, nous a permis de tirer des conclusions instructives sur les sources littéraires des emblèmes. La plupart du temps, Baudoin s’appuie sur des auctoritates pour justifier son propos et souvent ce sont ces mêmes auteurs qui fournissent le sujet central de l’emblème. Ovide en est d’ailleurs la source principale. Cette étude a également permis de trouver les emprunts de Baudoin à des recueils d’emblèmes antérieurs et de faire des rapprochements avec les ouvrages de Bacon ou les Fables d’Esope Phrygien. Elle a mis en valeur la difficulté qu’il y a à étudier un recueil d’emblèmes en général. Il est d’abord complexe de trouver les sources emblématiques, les réemplois étant fréquents. Citons par exemple le célèbre cas de Barthélemy Aneau qui avait trouvé des bois gravé chez Macé Bonhomme et qui les avait repris pour ses emblèmes. De cela découle, l’extrême difficulté, voire l’incapacité, dans certains cas, pour un emblémiste de connaître les relations entre le graveur et l’auteur.

Même si l’allégorie était encore au cœur du recueil d’emblèmes, la figure humaine étant au centre de toute chose, Baudoin ne poursuivait plus ici le même but. Il cherchait moins à proposer un vocabulaire aux artistes qu’à se livrer dans de longs discours accompagnés de belles gravures pleine page au burin, deux éléments qui faisaient toute la singularité du Recueil d’Emblemes divers. Si Baudoin avait puisé à de multiples sources pour concevoir cet ouvrage - littéraires, emblématiques, antiques, modernes, latines, vernaculaires -, le recueil incarnait parfaitement ses préoccupations intellectuelles, politiques et morales. Avec ses emblèmes, Baudoin créait un véritable théâtre du monde sur la scène duquel se jouaient les passions humaines. Son objectif, comme il le signifiait dans la préface, était d’édifier le lecteur, l’emblème étant « une peinture servant à instruire ». Mais là encore, il proposait ses services au roi et ce livre était à l’image de son œuvre, orienté vers la défense et l’affirmation de la monarchie. Baudoin y dresse le portrait emblématique du prince parfait, ce qui en fait un miroir du prince. Il y délivre des conseils en matière de gouvernement, érigeant à la suite de Juste Lipse la Prudence comme principe absolu et semblant évoquer dans plusieurs emblèmes à mots couverts des événements politiques.

Conclusion

Il reste encore bien des questions et des objets à découvrir sur une personnalité aussi riche et complexe que celle de Jean Baudoin. Quoi qu’il en soit, il y a chez lui une obsession de la paix et de la réconciliation. Né pendant les guerres de religion qui ont affaibli la France, il semble s’être donné pour mission de participer à la pacification du royaume et à la restauration de sa puissance. Il évolue dans une période sensible où l’on perçoit l’urgence d’une éthique. Il comprend la nécessité de l’éducation, plutôt que de la réplique défensive, ce qui explique qu’il ne semble pas y avoir de pamphlet ou de libelle de sa main. Il a une forte conscience de l’expression figurée. Pour lui, la formation des esprits et des consciences par le symbole est indéniable, mais il ne s’agit absolument pas de propagande par le symbole. Plus que des ouvrages didactiques, ses livres sont des livres éducatifs au sens élevé du terme.

Notes

1 Arch. Nat., K.K., f° 31 v° et K.K., f° 99. Retour au texte

2 J. Baudoin, Les Paralleles de Cesar et de Henri IV qui précédaient les Commentaires de Jules Cesar et les Annotations de Blaise de Vigenère et l’Histoire de Dion Cassius, Paris : J. Richer, 1609. Retour au texte

3 Hiérusalem deslivrée, Poeme héroïque de Torquato Tasso, Nouvellement traduict par J. Baudoin, Avec les figures de M. Lasne, Paris : J. et N. de la Coste, 1626. Retour au texte

4 L’Arcadie de la comtesse de Pembrok, mise en nostre langue de l’anglois de messire Philippes Sidney par Jean Baudoin, Paris : T. du Bray, 1624-1625. Retour au texte

5 En 1627, il dédie l’Histoire des Chevaliers de l’ordre de S. Jean de Hierusalem à Amador de La Porte, membre de l’ordre et oncle de Richelieu. Retour au texte

6 Arch. Nat., M.C. XIII 13, 2 mai 1631. Retour au texte

7 Cf. H.-J. Martin, op. cit., 1999, pp. 444-454; N. Schapira, Un professionnel des Lettres au XVIIe siècle. Valentin Conrart : une histoire sociale, Seyssel, 2003 Retour au texte

8 Nous n’avons pas étudié cette partie de l’œuvre de Baudoin dans ce travail. Nous renvoyons à la présentation et à l’édition de L’Histoire négrepontique par Laurence Plazenet, Paris : H. Champion, 1998 et à son article « Jean Baudoin et le genre romanesque », XVIIe siècle, n°216, 2002. Retour au texte

9 Iconologie, ou, Explication nouvelle de plusieurs images, emblemes et autres figures Hyerogliphiques des Vertus, des Vices, des Arts, des Sciences, des Causes naturelles, des Humeurs differentes, et des Passions humaines. Œuvre necessaire à toute sorte d’esprits, et particulierement à ceus qui aspirent à estre, ou qui sont Orateurs, Poetes, Sculpteurs, Peintres, Ingenieurs, Autheurs de Medailles, de Devises, de Ballets, et de Poëmes Drammatiques. Tirée des Recherches et des Figures de Cesar Ripa, Desseignées et gravées par Jacques de Brie, et moralisées par J. Baudoin, Paris : J. De Bie, 1636. Édition complète publiée en 1644 chez Mathieu Guillemot. Retour au texte

10 H.-J. Martin, « La vie intellectuelle au temps de Richelieu », Richelieu et le monde de l’esprit, p. 188. Retour au texte

11 Les feux de joye pour la resjouissance publique, par la Declaration de la Majorité du Roy, en sa Cour du Parlement de Paris, le jeudy deuxiesme de ce mois d’Octobre 1614, Ensemble les Merveilles du Ciel, envoyées le mesme jour à sa Majesté, Paris : A. du Breuil, 1614. Retour au texte

12 Une nouvelle traduction des Hieroglyphica fut donnée l’année suivante par Jean de Montlyart (Lyon : Paul Frellon, 1615) ; l’ouvrage, de plus en plus considéré comme un manuel, n’avait aucunement perdu de son actualité. Retour au texte

13 La sagesse Mystérieuse des Anciens, Ombragée du voile des Fables, appliquées moralement aux secrets de l’Estat et de la Nature, par messire François Bacon, de la traduction de J. Baudoin, Paris : F. Julliot, 1619. Retour au texte

14 Mythologie ou Explication des Fables, Œuvre d’éminente Doctrine, et d’agreable Lecture. Cy-devant trduitte du Latin de Noël le comte par J. de Montlyard. Exactement reveuë en cette dernière Edition, et augmentée d’un Traitté des Muses ; De plusieurs remarques fort curieuses ; De diverses Moralitez touchant les principaux Dieux ; Et d’un Abbrégé de leurs Images, par J. Baudoin, Paris, P. Chevalier et S. Thiboust, 1627. Retour au texte

15 Les Fables d’Esope Phrygien. Traduction nouvelle, Illustrée de Discours Moraux, Philosophiques et Politiques, par J. Baudoin, Paris : T. du Bray, 1631. Retour au texte

16 Recueil d’emblèmes divers, Avec des discours moraux, philosophiques et politiques. Tirez de divers Autheurs Anciens et Modernes, Paris : Jacques Villery, 1638-1639. Retour au texte

17 G. Couton, « La Fontaine et l’art des emblèmes », La Poétique de La Fontaine, p. 11. Retour au texte

18 D. Russel, The Emblem and Device in France, Lexington, 1985, p. 89. Retour au texte

19 J. Baudoin, Defence des Droits et Prerogatives des Roys de France, Paris : P. Rocollet, 1639, Préface, n.p. Retour au texte

Citer cet article

Référence électronique

Marie Chaufour, « Le moraliste et les images. Recherches sur l’expression emblématique chez Jean Baudoin (ca. 1584-1650) », Sciences humaines combinées [En ligne], 12 | 2013, publié le 01 septembre 2013 et consulté le 29 mars 2024. DOI : 10.58335/shc.329. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/shc/index.php?id=329

Auteur

Marie Chaufour

Docteure en Histoire de l'art, CPTC - EA 41788 - UB