Franck Gaudichaud (éd.), ¡Venceremos ! Analyses et Documents sur le pouvoir populaire au Chili (1970-73), Paris, Syllepse, 2013, 190 p.

Texte

Après une présentation de 50 pages (son titre : « Dialectiques révolutionnaires : les luttes pour le pouvoir populaire et le gouvernement Allende »), cet ouvrage rassemble articles, déclarations, entretiens ou reportages, pour la plupart inédits en français, permettant de se faire une idée de la diversité et de la dimension des organes de pouvoir populaire nés pendant le Chili d’Allende. Deux organes de presse ont surtout été sollicités, la revue Chile Hoy, rassemblant des journalistes venus de tous les horizons de la gauche, sous la houlette d’une socialiste de gauche, la sociologue Marta Harnecker. Après 65 numéros parus entre 1972 et 1973, la revue est interdite par le régime militaire. L’autre source importante est la revue Punto Final, créée en 1965 par des militants proches du MIR, notamment Manuel Cabieses, mais dont les rédacteurs se répartissent là aussi dans toutes les tendances de gauche. Interdite par la dictature, la revue renaît au Mexique entre 1981 et 1986, puis poursuit sa route à Santiago-du-Chili depuis 1989 « toujours sous la direction de l’inébranlable et combatif Cabieses » !.

Au cours de la table ronde organisée avec les travailleurs de l’usine Polyester (groupe Sumar), on se rend compte que même les ouvriers qui se réclament de la Démocratie Chrétienne adhèrent au processus révolutionnaire en cours. C’est l’un d’eux qui affirme : « les gens qui s’identifient aux travailleurs ne veulent pas que l’entreprise soit rendue à Sumar ? Nous, les travailleurs, serons les premiers à nous y opposer et j’insiste à nouveau, les changements ici ont été positifs » (in Punto Final, n°168, 10 octobre 1972). On touche du doigt aussi la radicalisation des militants ouvriers du PS. C’est l’un d’eux, Muñoz, qui regrette l’absence des Communistes dans les Cordons industriels, ces organisations de double pouvoir, dont le renforcement et la coordination auraient peut-être permis de résister au Coup d’Etat (voir la discussion sur le pouvoir populaire, traduite de Chile Hoy des 3 et 10 août 1973). On apprend aussi comment, dans ce Chili de l’Unité populaire confronté à la grève des camionneurs soutenue par la CIA, fonctionnent les JAP (Juntas de Abastecimiento popular), Comités d’approvisionnement et de contrôle des prix (in Chile Hoy, 30 juin 1972).

Dès avant le coup d’Etat, en août 1973 par exemple à Punta Arenas, dans l’extrême Sud du Chili, les militaires ont déjà commencé leurs opérations de guerre contre les travailleurs, causant la mort d’un ouvrier (cf. le reportage de Faride Zeran in Chile Hoy, 17 août 1973). Au cours de ces trois années de mobilisation étaient nées, spontanément, des structures d’auto-organisation dans la classe ouvrière et les secteurs déshérités des villes et des campagnes, « les cordons industriels » et « les commandos communaux ». A cette volonté « d’avancer sans transiger », la gauche « gradualiste » (c’est-à-dire la majorité du PS et le PC essentiellement) opposait le mot d’ordre « consolider pour avancer ». Les premiers étaient accusés par les seconds de gauchisme, d’impatience. Et les premiers ne furent pas capables de dénouer la relation de dépendance dans laquelle le mouvement ouvrier et syndical était vis-à-vis de l’Etat chilien et des initiatives gouvernementales.

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Référence électronique

Jean-Paul Salles, « Franck Gaudichaud (éd.), ¡Venceremos ! Analyses et Documents sur le pouvoir populaire au Chili (1970-73), Paris, Syllepse, 2013, 190 p. », Dissidences [En ligne], 6 | 2013, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=354

Auteur

Jean-Paul Salles

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