Jacquy Chemouni, Trotsky et la psychanalyse, Paris, Éditions In Press, 2004, 272 p. (Explorations psychanalytiques).

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A l'instar de ce que Jean-Michel Krivine, spécialiste dans son domaine bien que non historien de formation, avait pu faire en portant un autre regard sur la mort mystérieuse de Léon Sedov (le fils de Léon Trotsky) en 1938, le psychanalyste Jacquy Chemouni, auteur de nombreux écrits sur les rapports entre politique et psychanalyse, tente d'offrir une synthèse sur la perception et l'utilisation que Trotsky avait de la psychanalyse. On sait l'importance que ce dernier accordait à l'apport de Freud, mais Jacquy Chemouni souligne, semble-t-il avec raison, que son appréhension de la théorie freudienne était à la fois incomplète et sélective, orientée vers une fusion avec le marxisme, ainsi que le montre la brève correspondance qu'il eut avec Pavlov. De la même manière, Trotsky s'appuyait sur quelques thèmes majeurs de la théorie freudienne comme l'inconscient ou la sublimation, au détriment sans doute d'une approche véritablement systémique.

Chemouni nous apporte également des éclaircissements sur le développement de la psychanalyse en Russie puis en URSS, développement qui cesse quasiment au même moment que la défaite de l'opposition unifiée, ainsi que sur l'intérêt porté par les proches de Trotsky à la psychanalyse, d'Alfred Adler, qu'il côtoya lors de son séjour en Autriche avant la guerre, à Abraham Joffé, qui suivit d'ailleurs une psychanalyse, sans oublier André Breton, d'autant que le Manifeste pour un art révolutionnaire indépendant, qu'ils co-rédigèrent en 1938, fait explicitement référence à la théorie psychanalytique. A cette occasion, il établit d'une manière quasiment définitive que le psychanalyste Max Eitingon, proche relation de Freud, n'avait aucun lien avec Alfred Eitingon, l'agent du Gépéou qui prit part à l'assassinat de Trotsky.

Enfin, l'ouvrage se termine avec un retour sur la question des troubles mentaux de Zina, la fille de Trotsky, qui se suicida à Berlin peu de temps avant l'arrivée d'Hitler à la chancellerie. Si Chemouni utilise pour ce faire la correspondance inédite entre Trotsky, Natalia, Léon Sedov et Zina, mise à sa disposition par Pierre Broué (sans doute aurait-elle été incluse dans la seconde série inachevée des Œuvres complètes de Trotsky), les conclusions qu'il en tire ne font que confirmer celles d'Isaac Deutscher en son temps, une incompréhension du mal de Zina par un père qui ne peut l'assumer et voit sans doute trop loin…

Reste que sur ce point, Chemouni semble mal comprendre l'utilisation politique que fait Trotsky du suicide de Zina en en rendant responsable Staline, un moyen probablement de tenter de le dissuader de s'en prendre au reste de sa famille restée en URSS, à une époque où le pouvoir de Staline n'est pas encore totalement absolu. A d'autres endroits, d'ailleurs, le psychanalyste appréhende de manière bancale la pensée de Trotsky, en particulier dans l'analyse du fameux pamphlet Leur morale et la nôtre, d'autant que le livre semble avoir été rédigé sous forme de chapitres indépendants les uns des autres, engendrant quelques répétitions. Reste une étude utile sur un de ces sujets transversaux à Trotsky qu'il reste encore à explorer en partie…

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Jean-Guillaume Lanuque, « Jacquy Chemouni, Trotsky et la psychanalyse, Paris, Éditions In Press, 2004, 272 p. (Explorations psychanalytiques). », Dissidences [En ligne], 2 | 2011, . URL : http://preo.u-bourgogne.fr/dissidences/index.php?id=159

Auteur

Jean-Guillaume Lanuque

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