De la Cartographie des terroirs de l’aire AOC Cahors à la proposition d’un classement des terroirs en un « Premier Cru Cahors »

Résumés

Entre Cahors et Soturac, le vignoble d’Appellation d’Origine Contrôlée Cahors se situe dans la moyenne vallée du Lot, à terrasses étagées siliceuses, et sur ses versants et plateaux bordiers partagés entre les calcaires des ères secondaires et tertiaires. Un des aboutissements de nos recherches a consisté en l’étude, à l’échelle de la parcelle, des possibilités de reconnaissance d’une Appellation «premier cru Cahors », qui peut donner un nouvel élan à l’Appellation Cahors. Ce volet de recherche a permis de construire une base de données qui peut être à l’origine d’un Système d’Information Géographique.

Between Cahors and Soturac, the vineyard of Cahors – a guaranteed vintage- is situated in the mid-Lot valley, which has silicious terraced rows on its hillsides, and on its bordering plateaux, composed of limestone of the secondary or tertiary geological eras. One of the outcomes of our research consisted in studying the possibility to award an appellation « first-class Cahors vintage » on the scale of the patch, which would boost the Cahors appellation. This section of our research enabled us to compile a database which could lead to the creation of a geographical information system.

Plan

Texte

Introduction

La recherche de la qualité viticole et vinicole est depuis de nombreuses années le souci constant des appellations françaises. Pour tendre toujours plus vers cet objectif, les gestionnaires des vignobles, viticulteurs et techniciens, s’entourent de démarches scientifiques pour asseoir les bases de cette qualité de la vigne et du vin. Dans ce cadre, la notion de terroir tient une place importante. Des géographes se sont penchés sur ce concept, en dehors ou pas de la viticulture. La plupart s’accorde sur la définition de terroir que donne M. Derruau : «Nous entendons par terroir un territoire cultivé se distinguant de ses voisins par des caractères particuliers d’ordre physique ou d’ordre humain […] » (M. Derruau, 1949). Et même si certains l’emploie peu, comme G. Bertrand qui préfère nommer le terroir un géofaciès (G. Bertrand, 1968), taxonomie reprise par de nombreux géographes, le concept de terroir, délaissé un temps par les ruralistes, connaît un regain d’intérêts à travers la viticulture.

Déjà R. Pijassou distingue terroirs et sols (R. Pijassou, 1980) et précise des critères pour définir des terroirs du vignoble médocain. Théorie à laquelle R. Dion et P. Roudié répondent que les relations entre terroirs et qualité du vin ne doivent pas faire oublier la part indéniable du viticulteur et de la civilisation qui se tisse autour de la viticulture (R. Dion, 1952, 1990, P. Roudié, 1995 (in Les Cahiers nantais n°43)). A l’image de R. Gadille, même si elle emploie le terme de cru au lieu de terroir à propos du vignoble bourguignon (R. Gadille, 1967), d’autres géographes ont analysé les rapports entre terroirs et qualité du vin, comme par exemple C. Belot (1974) à propos du vignoble charentais, G. Bernard (1980) à propos de l’appellation Cognac, ou encore H. Enjalbert (1983) en écrivant sur les crus de Bordeaux, Porto et Cognac. Mais ce sont surtout des biologistes, des géologues, des pédologues et de géographes qui ont donné un aspect nouveau à la notion de terroir en la confrontant à une viticulture de qualité. Ainsi peut-on citer les travaux de l’Institut d’œnologie de l’Université de Bordeaux II (E. Cerol et al., 1981) ou les travaux de la Commission de géographie rurale réunis dans les Cahiers nantais n°43, (1995). Pour les biologistes, géologues ou pédologues tels que G. Seguin (1973) dans le Bordelais, A. Cavaillé (1981, 1984) dans les Hautes-Pyrénées ou l’Aude, P. Bonfils (1981) dans le vignoble ouest méditerranéen, J. Chrétien et N. Leneuf (1981) en Bourgogne, C. Asselin et R. Morlat (1993) dans la vallée de la Loire, le concept de terroir reste lié à celui de sol, et peu de critères de différenciation sont mis en évidence en dehors de celui-ci. Bien que ce concept soit parfois dévoyé par le langage courant et les publicitaires, les géographes, les agronomes, les viticulteurs ont su le remettre en selle scientifiquement et le mettre en évidence dans son contexte culturel (J.R. Pitte, 1999).

Conscient de l’évolution du terme et des débats qu’il anime, nous caractérisons, quant à nous, le terroir comme l’unité spatiale la plus petite, homogène à tous les points de vue, et cartographiable à grande échelle.

Des études géographiques sur le vignoble de Cahors ont déjà vue le jour, (M. Vidaillac, 1952, M.D. Salbaçagaray, 1975), mais notre approche a été à plus grande échelle, à celle du terroir, voire de la parcelle.

Le vignoble de l’AOC Cahors regroupe 45 communes de la moyenne vallée du Lot (figure 1), où 4300 ha de vignes se répartissent sur les 21700 ha d’aire AOC. Celle-ci est gérée par le syndicat de défense de l’AOC Cahors, qui regroupe tous les viticulteurs, par l’INAO (Institut National des Appellations contrôlées), et l’ONIVins (Office National Interprofessionnel des Vins). C’est sous les auspices de ces organisations que l’Université fut mandée de fournir un travail de réflexion sur les terroirs ; réflexions sur la nature de ceux qui composent l’appellation et sur le concept de terroir lui-même.

Travail qui devait aboutir à une carte des terroirs, élément de base pour proposer au rang de « premier cru » une subdivision de l’aire AOC la plus apte à produire un raisin de qualité. Le fond de nos propos réside ici dans la façon dont a été élaborée cette dernière idée, pour montrer comment la géographie peut, tout en menant une réflexion de recherche fondamentale, trouver des applications directes dans la société.

Figure 1

Figure 1

Les différents terroirs de l’aire et leur cartographie.

Les 45 communes qui englobent l’aire AOC Cahors regroupent tout d’abord deux grands ensembles de terroirs :

- un ensemble alluvial, siliceux ou calcaire, qui correspond aux dépôts du Lot,

- un ensemble calcaire et/ou marneux où s’encaisse la rivière, qui correspond aux versants et aux plateaux.

Ces deux ensembles se divisent eux-mêmes en familles de terroirs, puis en types de terroirs et en terroirs proprement dits (Rouvellac, 1998).

La famille des terroirs alluviaux se décompose en :

- sept types de terroirs siliceux correspondant aux différents niveaux de dépôts alluviaux du Lot au cours des temps quaternaires et tertiaires, ce sont :

. la plaine inondable,

. la basse terrasse,

. la moyenne terrasse,

. la haute terrasse,

. les hauts niveaux alluviaux du quaternaire ancien,

. les versants et plateaux associés aux dépôts sidérolithiques (pierre de fer) éocènes de l’ère tertiaire,

. les fonds de vallée dans le sidérolithique.

- trois types de terroirs calcaires, ce sont :

. les fonds de vallées sèches,

. les vallées secondaires à fond inondable,

. les cônes alluviaux de grèzes.

La famille des terroirs calcaires se décompose, quant à elle, en cinq types de terroirs de versants et de plateaux qui se distinguent par la nature de la roche mère du sol :

- les cévennes vives ou abandonnées par le Lot,

- les versants et plateaux associés au calcaire kimméridgien de l’ère secondaire, ou plateau de Cahors, dominant sur l’Appellation,

- les versants et plateaux associés au calcaire portlandien de l’ère secondaire, plateau de Crayssac ou de la pierre du Lot,

- les versants et plateaux associés au calcaire lacustre oligo-miocène de l’ère tertiaire, parfois surmontées de marnes grises, c’est le plateau du Quercy Blanc,

- les grèzes de pied de versant ou en cône alluvial.

Chacun de ces types de terroirs se décompose en terroirs propres, qui se distinguent par des critères d’homogénéité, puisque pour nous, un terroir consiste en la plus petite parcelle de terrain homogène à tous les points de vue et cartographiable. Ces critères d’homogénéité retenus pour la cartographie des terroirs sont : l’altitude, la pente, l’exposition, le site et la configuration, la végétation, le sol, le manteau (intermédiaire entre le sol et le substratum), le substratum, les processus hydrologiques, pédologiques, morphogéniques observables, l’histoire de chaque terroir, l’utilisation, l’évolution en cours.

Par exemple : un versant comporte un haut de versant, un milieu de versant, un bas de versant, des différences de pente, d’exposition, d’occupation du sol, de nature du sol. Toutes ces nuances, qu’il faut pondérer en fonction de leur importance, définissent des terroirs différents. Autre exemple : une terrasse, terroir à part entière, est toujours associée à un talus de terrasse, autre terroir qui se distingue par une pente et une exposition plus marquées. Là aussi, les nuances de détail, d’ordre physique ou humain, marquent autant de terroirs particuliers.

La carte des terroirs a été dressée au 1/25 000 et rend compte des terroirs qui composent les 45 communes englobant l’aire AOC Cahors. Cette carte a été tout de suite un outil pour la cave coopérative de Parnac qui vinifie depuis 1993 en fonction des terroirs cartographiés ; un outil pour le syndicat de défense de l’AOC qui nous a demandé de prolonger nos recherches par des analyses de sol et des analyses des microclimats. Ces deux dernières, alliées à des dégustations menées sur cinq années (1993 à 1997), ont montré que certains terroirs sortent du lot par la régularité de la qualité des échantillons de vin qu’ils ont contribuer à produire. Ce sont essentiellement les terroirs siliceux des alluvions anciennes de la haute terrasse dans la vallée du Lot et les terroirs du plateau calcaire du Kimméridgien. En conséquence, nous sommes armés pour examiner plus profondément, à l’échelle de la parcelle, quels terroirs peuvent prétendre à produire un raisin pouvant donner un vin de grande qualité, « un premier cru ».

Les critères de proposition au rang de «premier cru Cahors ».

La volonté du syndicat de défense est de définir les conditions de production d’un vin pouvant s'élever au-dessus de l'AOC générique, portant le nom de « premier cru Cahors ». Cette subdivision ne constitue pas une révision générale de l'aire AOC, mais vise à définir quelles sont les parcelles qui peuvent fournir les meilleurs potentiels de production de qualité au sein de cette aire. Il n'a donc jamais été question de priver quelque viticulteur que ce soit de l'AOC générique (les laboratoires et les commissions ad hoc jugeant le vin sont chargés de remettre en cause cette attribution chaque année). C'est avec l'accord de l'INAO, du syndicat de défense de l'AOC et des viticulteurs qui ont été réunis par commune (ou groupes de communes) que nous avons été chargés de jeter les bases de cette subdivision de l'aire en partant du support de la vigne, le terroir, et en travaillant à l'échelle de la parcelle cadastrale. Il a été décidé que notre carte des terroirs constituerait le document de base pour les propositions de parcelles aptes à être classées productrices d'un « premier cru », propositions car l'INAO seul a le pouvoir, à l'aide d'une commission d'experts qu'il nomme, de modifier, valider ou non ces propositions. Cette démarche peut-être considérée comme une autre application de la carte des terroirs, où ceux-ci sont mis directement en corrélation avec leur potentiel viticole.

Notre travail s'est déroulé de juillet à décembre 1997, en concertation avec tous les viticulteurs de l'aire pour élaborer en commun les critères de classement de parcelles « premier cru ». Pour cela, l'approche scientifique de définition des terroirs et de leur cartographie, les campagnes d'analyses de sols, les essais de vinification en fonction des terroirs ont constitué une solide base de discussion entre viticulteurs et techniciens.

Cette nouvelle approche du terrain, il a fallu sillonner les 21708 ha de l'aire en tous sens pour inspecter plus de 50 000 parcelles à l'aide de critères de classement en « premier cru », peut être considérée comme un travail de recherche fondamentale et appliquée. Fondamentale, puisqu'il a fallu réfléchir à l'adéquation entre terroirs et production de vin de grande qualité, ce qui fait rentrer en ligne de compte nombre de critères en interdépendance, qui sont les critères de différenciation des terroirs, renforcés dans leur véracité par nos travaux pédologiques, climatiques, et œnologiques. Appliquée, puisque nous répondons à une demande, dans le cadre d'un dossier adressé à l'INAO en janvier 1998 pour mettre en place un décret de loi définissant l'aire et les conditions de production d'un vin supérieur à l'AOC, un AOC « premier cru ». Les démarches nécessaires sont en cours actuellement, la commission technique de l’INAO qui s’occupe de ce dossier s’est rendu sur le terrain les 30 et 31 mars 2000. De plus, à notre connaissance, cette application d'une cartographie géographique des terroirs à la cartographie d'une zone de premier cru viticole est une première en France.

Pour mettre en évidence le meilleur potentiel de l'aire AOC valorisable en cru, il nous a fallu partir de quelques critères physiques, humains, historiques, issus de l'étude des terroirs qui la composent. Ceci fait suite aux 25 réunions des communes ou groupes de communes viticoles courant mars et avril 1997, réunions de concertations entre viticulteurs, techniciens et universitaires. En tenant compte des conclusions générales, nous avons choisi d'éliminer les terroirs alluviaux de la plaine inondable, de la basse terrasse Würm et de la moyenne terrasse Riss, ces terroirs présentant des sols jeunes, donc des sols riches, fertiles, où la nappe phréatique est souvent peu profonde, créant des risques d'hydromorphie. La vigne ayant besoin d'un régime hydrique naturel et régulier, qui a au moins autant d'importance que la structure du terroir dans lequel elle pousse. La texture de ces terrains est souvent à majorité limono-sableuse, ce qui implique un sol trop filtrant ou trop battant et donc un déficit ou un excès d'humidité. En cas d'excès, sur les sols mal drainés naturellement, l'eau a tendance à stagner. Or, si la vigne résiste très bien à la sécheresse, en contrepartie, elle craint particulièrement un séjour prolongé dans l'eau. Dans le cas de vigne jeune jusqu'à 7 ou 8 ans l’enracinement superficiel baigne dans l'eau, absorbe cette eau d'une façon brutale et excessive avec une répercussion néfaste sur les baies de raisin qui gonflent, peuvent éclater et finissent par pourrir. Nous pouvons citer par exemple le dernier tiers des vendanges 1993, où l'excès de récolte, le petit degré, le botrytis ont amené un vin fini de couleur orangée seulement.

Dès qu'un terrain est en pente, l'excès d'eau s'élimine naturellement, les racines de la vigne descendent très loin. Sur certaines coupes que nous avons effectuées ou sur certains chantiers, nous avons pu vérifier sur des vignes de 15 ans des enracinements de 6 à 7 mètres. La porosité naturelle du sous-sol le rend filtrant, et génère souvent ces terroirs d'exception. Avant le phylloxéra, ces terroirs étaient déjà recherchés. Dans des conditions de coteaux, la vigne pour ces raisons supporte les dures conditions climatiques et leurs effets néfastes en sont gommés. C'est dans les années défavorables que la supériorité de ces coteaux est la plus parlante, en raison de la qualité de ces terroirs bien structurés, qui présentent toujours une forte perméabilité et une bonne aération. Cet avantage est encore accentué lorsqu'ils sont plantés en vieilles vignes. On répète souvent que les cailloux, la roche, joue un rôle, dans les fonctions de drainage bien sûr, mais n'oublions pas que les plantes tirent les éléments chimiques nécessaires à leur nourriture de la solution présente dans la rhizosphère, dans les éléments fins de terre et du sol entre les cailloux et les blocs.

En conséquence, nous avons retenu les terroirs à partir du talus entre moyenne (Riss) et haute terrasse, la haute terrasse Mindel, les grèzes et cônes d'éboulis calcaires, les hauts niveaux alluviaux du Quaternaire ancien. Cette démarche restrictive est confortée par l'ensemble des opinions viticoles en réunions communales, où globalement l'aire des futurs crus ne peut aller que dans un sens restrictif par rapport à l’aire AOC Cahors.

Sur le plateau, ont été exclus les terroirs comportant des marnes grises du Miocène, compte tenu de la chlorose qu'elles occasionnent sur la vigne, impliquant des traitements de sulfate de fer, et d'engrais foliaires à base de fer. Tous les autres terroirs sont susceptibles de proposition de classement à condition de répondre à la même grille de critères physiques :

- les expositions nord et nord-est ont été exclues, constituant un facteur limitant pour le développement de la plante et de ses fruits, par manque de rayonnement solaire ; ce sont en général les terroirs les plus tardifs,

- les parcelles entourées par des bois sur plusieurs côtés, sans bande sanitaire pour prévoir l'ombre envahissante, ne sont pas proposées,

- toutes les topographies en creux favorisant les gelées de printemps par accumulation d'air froid sont exclues, comme les fonds de vallées drainées ou sèches et les dépressions fermées.

Notre souci a toujours été de proposer une classification par unité assez étendue, seuls des groupes de parcelles ou des parcelles isolées suffisamment grandes sont proposés. Il est en effet difficile de définir une aire de premier cru composée de petites parcelles éparses. Les parcelles, boisées, en friches ou en polyculture ont été écartées, c'est ici que la notion d'usage et d'antériorité prend tout son sens. En effet, dans la majorité de l'aire AOC, que l'on prenne les 45 communes ou les 21 708 ha de l'appellation, la déprise rurale est grande. Elle est due successivement à l'exode rural, au phylloxéra, aux pertes humaines du premier conflit mondial. Le pays a été vidé de ses habitants, la friche a gagné, et l'emboisement a été de grande envergure. A contrario, l’extension urbaine de Cahors vers Lamagdelaine, Arcambal, Flaujac-Poujols, Mercuès, Pradines, Trespoux-Rassiels, et des plus gros bourgs du vignoble, (Luzech, Douelle, Prayssac, Puy-l'Evêque et Duravel) grèvent profondément le potentiel de très beaux terroirs, aujourd'hui en voie de lotissement, comme la haute terrasse, les grèzes ou le plateau calcaire de Cahors. Il est très difficile de proposer l’appellation de « premier cru » à des parcelles enclavées dans des aires de construction, où la pression spéculative sur le bâti est la plus forte. Mais si les parcelles sont déjà plantées, peut-être que l’obtention du rang de « premier cru », amenant de la valeur ajoutée, sauvera ce qui reste de viticole de ces terroirs. Nous sommes donc partis de la situation actuelle de l'aire AOC, du constat existant compte tenu de la disproportion entre la superficie AOC plantée (environ 4 300 ha) et la superficie totale de l'aire (21 708 ha) pour proposer au rang de premier cru des parcelles qui répondent non seulement aux critères physiques, mais qui possèdent un potentiel viticole en équilibre avec la population viticole, et aussi des droits de plantation restants. Le résultat de l’examen systématique des 50 538 parcelles qui composent l'aire AOC a été consigné sur chaque feuille cadastrale des 45 communes et sur chaque tableau d'assemblage des feuilles du cadastre communal.

Présentation d'exemples cadastraux.

Toutes les parcelles ont été examinées suivant les mêmes critères définis dans la première partie, au prix d'un accès rendu souvent difficile par l'enfrichement, le reboisement spontané, l'absence d'entretien des chemins cadastraux, la confiscation ou la destruction de ceux-ci par les habitants. En tout, c'est près de 10 000 km qui ont été parcourus sur les routes, les chemins creux, les contournières de vigne, les limites de parcelles de l'Appellation de juillet à décembre 1997. Il faut signaler l'apport incontestable de la toponymie dans notre travail ; la langue latine et surtout la langue occitane sont très présentes dans les noms de lieux-dits. Cet atout corrobore la notion de terroir car ces noms donnent des indications quant au sol ou à l'exposition.

Pour chacune des 45 communes de l’appellation, nous avons procédé au recensement de la nature et de l’état des parcelles composant l’aire AOC et à la désignation de certaines d’entre elles comme potentiellement apte à produire un « premier cru». Les viticulteurs, lors de nouvelles réunions communales et intercommunales à la fin de l’année 1997, ont eu la possibilité d’amender ces propositions en refusant des parcelles proposées ou/et en soumettant de nouvelles.

Ce travail a été effectué à partir des 481 feuilles des cadastres communaux au 1/2 500 et des 45 tableaux d’assemblage, un pour chaque commune, au 1/10 000. Deux exemples sont analysés ici, à travers les communes d’Anglars-Juillac et de Fargues, communes pilotes choisies en accord avec les viticulteurs, avant de procéder aux propositions de classement pour les 43 autres.

La figure 2 présente les principaux terroirs de la commune d’Anglars-Juillac en amont de Puy-l’Evêque dans les terroirs alluviaux de la vallée du Lot. Cette carte ne retrace que les familles de terroirs qui composent le territoire de cette commune ; à savoir :

- dans la famille des terroirs alluviaux siliceux où domine le poids du manteau alluvial: la zone inondable, les basses, moyennes et hautes terrasses,

- dans la famille des terroirs alluviaux calcaires où domine également le poids du manteau alluvial: les cônes d’éboulis de grèzes et les fonds de vallées sèches, à colluvions ou alluvions calcaires,

- dans la famille des terroirs calcaires ou domine l’influence du substratum : les versants et les plateaux formés dans le calcaire kimméridgien.

Figure 2

Figure 2

Les types de terroirs et les terroirs proprement dits n’apparaissent pas ici (ils figurent sur la carte initiale au 1/25 000). Parmi les nuances qui définissent des types de terroirs et des terroirs, nous pouvons rappeler que chaque terrasse est séparée de sa voisine par un talus qui constitue à lui seul un type de terroir, se divisant en différents terroirs suivant l’affleurement ou non du calcaire sous-jacent, suivant l’exposition, la pente, l’utilisation… Des détails importants signalent des terroirs à part entières au sein de la terrasse elle-même, notamment la plus haute, plus âgée et soumise depuis plus longtemps que les autres à la « cryptokarstification » du substratum calcaire, à l’érosion, au lessivage et au troncage des sols. Ces trois derniers processus étant accélérés par la viticulture multiséculaire de ce type de terroir. L’unicité du mode de représentation cartographique utilisé ici ne saurait faire oublier toute l’histoire géomorphologique et humaine qui a abouti aux terroirs actuels.

L’examen parcellaire à l’aide des critères définis ci-avant permet de proposer au classement en « premier cru » le talus entre la moyenne et la haute terrasse exposé nord-ouest à ouest, viticole, ici très large sous forme de glacis et peu visible, la haute terrasse et les grèzes, toutes deux viticoles, et un ensemble de parcelles viticoles sur le plateau calcaire du Kimméridgien (ensemble B). Sont exclus des propositions au classement en « premier cru » le talus entre moyenne et haute terrasse exposé au nord, réclamé en partie par les viticulteurs et les basses et moyennes terrasses, (ensemble A), dont une petite partie jouxtant le talus est revendiquée (ensemble C). Il faut enfin noter que la basse terrasse avait déjà été exclue de production AOC lors du décret d’obtention de celle-ci en 1971.

La figure 3 donne un extrait du cadastre initialement au 1/2500 de la commune de Fargues sur le plateau du Quercy Blanc, au centre-sud de l’aire. Ce document représente une réduction de la section D2, au sud de la commune. Les terroirs qui sont cartographiés ici sont ceux qui caractérisent le Quercy Blanc. L’érosion, dans les résistants calcaires oligocènes peu gélifs, a permis la formation de vallées aujourd’hui sèches pour la plupart, à fond plats encore cultivés et aux versants raides, boisés. Seules les principales sont drainées de façon pérenne, comme la Séoune qui coule sur la limite sud de la section cadastrale présentée ici. Le plateau calcaire, occupé indifféremment par les bois, la polyculture et la viticulture, garde un aspect tabulaire et annonce déjà les serres de l’Agenais (R. Clozier, 1940). Il est surmonté par des affleurements de marnes et de calcaires miocènes qui forment les points hauts du relief. La limite de cet affleurement est marquée par un talus de quelques mètres de commandement, vers 265 mètres d’altitude. Sont proposés au classement en « premier cru » les secteurs de terroirs de plateau de calcaire marneux à argile rouge à condition qu’ils soient majoritairement viticoles. Sont exclues des propositions au classement en cru les parcelles en bois ou polyculture, sans usage viticole, et les marnes grises au nord de la section, même si elles sont plantées en vigne comme cela est le cas dans tout le nord e la feuille cadastrale. Un groupe de parcelles proposées au classement a été refusé par les viticulteurs ; ces derniers le jugent trop à l’ombre des bois l’entourant. Ce cas de refus est un des seulement dix recensés.

Figure 3

Figure 3

Des résultats de recherche acceptés par la profession viticole, mais avec des nuances.

Les viticulteurs ont pu examiner à loisir les plans cadastraux concernant leurs parcelles et les amender. La délimitation parcellaire globale proposée en « premier cru » représente environ 1 850 ha, dont 1 500 ha en vigne et 350 ha en jeunes vignes ou terrains nus, soit 8,5% de l’aire AOC Cahors actuelle, mais 44 % de l’aire AOC réellement viticole : c’est donc très important. Cette proposition de délimitation a été approuvée pour 99,7% des parcelles proposées par l’ensemble des vignerons à l’exception de 7,65 ha, (propositions de classement refusées). Les demandes de classement complémentaires par les viticulteurs concernent 430 ha, soit 2% de l’aire AOC Cahors, mais 24 % de l’aire « premier cru » proposé ! Il est délicat de comparer la surface proposée en cru à la surface en vigne, car les déclarations de récolte ne portent que sur la production AOC, pour des raisons diverses (choix du viticulteur, aléas climatiques, vignes jeunes…) la superficie totale en vigne regroupe la production d’origine contrôlée et de vin de table, alors que la superficie produisant de l’AOC n’est que le reflet du millésime. Par exemple, lors d’une mauvaise année, moins de viticulteurs déclarent leur production en AOC, car soit ils ne l’ont pas obtenue, soit ont fait le choix de ne pas la demander, pour des raisons de qualité moindre et aussi des raisons fiscales. Il serait donc plus judicieux de comparer des surfaces totalement invariantes, la superficie proposée en « premier cru » à la superficie AOC par exemple. Mais comme celle-ci ne renvoie plus à une réalité économique réelle, faute de droits de plantation, il devient également difficile de l’utiliser.

Rappelons que dans les critères humains et sociaux retenus, la notion d’usage viticole est primordiale et vu la population viticole vieillie et le peu de droits de plantation restants, nous ne pouvions nous permettre beaucoup d’inflations dans nos propositions, nous ne pouvions pas proposer une grande quantité de parcelles vierges de vigne.

40 communes sur les 45 présentent des propositions de classement, (figure 4), les 5 manquantes sont :

- Arcambal, Catus et Pontcirq, aucune proposition, la viticulture ayant pratiquement disparue,

- Castelfranc, pour la même raison que les précédentes, et de plus la vallée du Lot ne comporte ici que la basse terrasse,

- Pescadoires, située uniquement sur la basse et la moyenne terrasse du Lot.

Il faut noter que seule cette dernière commune revendique des parcelles au classement en « premier cru ».

Figure 4

Figure 4

Neuf communes ne revendiquent aucune parcelle en plus. Ce sont outre Arcambal, Catus, Pontcirq et Castelfranc, les communes de Nuzéjouls, Pradines, Saint-Matré, Saint-Médard et Touzac. Nous ne pouvions pas, en travaillant sur des principes de qualités optimales du vin, proposer une aire de «premier cru » recouvrant en grande proportion l’aire AOC générique actuelle. Que serait une aire de «premier cru » quasiment égale à l’AOC simple sinon la négation du raisonnement de production de qualité supérieure ? Rompre ces règles relève de la démagogie. Les viticulteurs se sont d’ailleurs mis d’accord pour que seulement 10% de l’aire soient potentiellement productive de «premier cru ». Nos calculs de surface proposent 8,5%. Ajoutés aux 2% supplémentaires revendiqués, nous arrivons à 10,5% de l’aire, la proportion souhaitée. L’unanimité presque acquise pour 99% de la surface totale proposée (les viticulteurs refusent moins de 1% des parcelles), montre la bonne corrélation entre notre conception des terroirs viticoles de grande qualité et celle des viticulteurs. Cette quasi-unanimité ne marque pas une absence de discussions, elles ont été parfois vives, houleuses dans quelques cas, notamment sur celui de la moyenne terrasse Riss, la plus viticole de l’appellation avec plus de 2 000 ha de vigne. Fallait-il l’inclure dans les propositions au nom de quelques sites particuliers où la qualité ne fait jamais défaut, de mémoire de viticulteur ? L’intégrer dans nos propositions impliquerait que pratiquement toute la surface en vigne actuelle soit élevée à la production de premier cru ; impossible avec la logique que nous avons adoptée, logique appliquée dans toutes les appellations où ont été définis des crus, sous la tutelle de l’INAO, garant national des critères de productions de qualité. La distribution spatiale des projets de l’aire «premier cru Cahors », intégrant nos propositions et les amendements des viticulteurs montre que les principales revendications des viticulteurs se situent au sein de la moyenne terrasse, d’ouest en est dans les communes de Vire-sur-Lot, Duravel, Puy-l’Evèque, Pescadoires, Lagardelle, Prayssac.

La figure 4 montre la répartition des revendications et leur concentration ; la basse et la moyenne terrasse sont les terroirs les plus revendiqués, 52% de la superficie demandée en plus ; et ils ne sont revendiqués que dans un seul secteur de l’Appellation, au nord-ouest, comprenant les communes limitrophes citées ci-dessus. Dans cette zone, les viticulteurs n’ont pas respecté leurs premiers engagements et croient pouvoir concevoir un premier cru qui comprendrait trois ou quatre fois plus de surface que ce qui est proposé. L’INAO tranchera.

Les autres revendications demeurent éparpillées sur tout le reste de l’appellation, et ne consistent qu’en petites parcelles, adjacentes le plus souvent à nos propositions.

Mais l’aire proposée en « premier cru » résume aussi les grands traits qui caractérisent notre logique de sélection des parcelles :

- les espaces restés blancs au plus près du Lot couvrent les basses et moyennes terrasses non retenues dans nos propositions,

- l’aire d’affleurement des marnes grises miocènes se distingue bien au sud, dans le Quercy Blanc,

- les hachures vertes désignent les zones les plus enfrichées de l’appellation, avec la périurbanisation autour de Cahors,

- les polygones hachurés en bleu occupent les terroirs alluviaux, talus, haute terrasse, hauts niveaux du Quaternaire ancien et Sidérolithique,

- les polygones blancs cernés de bleu représentent les aires « premier cru » sur les calcaires des plateaux,

- les aires proposées au classement en cru sont à l’image de la répartition générale de la vigne dans l’appellation, des unités assez grandes dans la vallée, un morcellement prononcé sur le plateau.

La commission d’experts nommée par l’INAO qui a parcouru le terrain à l’aide de notre pré-rapport, confirmera ou infirmera nos propositions et celles ajoutées par les viticulteurs. Après cette phase, ceux-ci pourront à nouveau demander que certaines parcelles nouvelles soient retenues.

L’apport d’une classification en «premier cru Cahors», un pari vers la qualité.

Les parcelles répertoriées constituent la base spatiale de ce futur ensemble inclus dans l ‘aire AOC ; le règlement et les contraintes nécessaires pour élaborer un vin «premier cru » sont contenus dans un cahier des charges approuvé par les viticulteurs.

Les critères qui ont été le plus discutés sont le degré, l’âge minimum des vignes, l’encépagement et le rendement ; critères à respecter pour prétendre produire un vin «premier cru ». Une entente semble se dessiner pour hausser de un demi degré le seuil minimum de l’AOC, de 10,5 à 11, nous avons constaté en effet la forte corrélation entre degré et qualité. Augmenter de quatre ans l’âge minimum des vignes, de 4 à 8 ans, ne semble pas non plus poser problème ; nous avons vu comment un enracinement profond est nécessaire pour gommer les fluctuations hydriques. Mais les viticulteurs demeurent beaucoup moins unanimes au sujet de l’encépagement et du rendement.

Pour l’instant, une majorité ne veut pas faire varier les dispositions de l’AOC sur ces deux critères, à savoir 70 % minimum de Cot et 30 % maximum de Merlot et Tannat pour l’encépagement et 45 hl/ha de rendement de base avec un maximum autorisé à 50 hl/ha. Certains souhaitent que le Cahors «premier cru » soit fabriqué à partir de 100 % de Cot, cépage garant du caractère du vin de Cahors. Mais l’absence des rondeurs qu’apporte le Merlot, pacifiant le caractère tannique et astringent du Cot en vin jeune, ne permet alors plus de vendre rapidement un vin de qualité. Les lois du marché et du profit à court terme s’accommodent peu du temps que met le Cahors à vieillir pour lui donner toute son ampleur, environ de 3 à 5 ans. Le rendement apparaît inchangé dans le cahier des charges. Or, par expérience, les viticulteurs savent que leurs meilleures cuvées restent issues de terroirs et de parcelles à faible productivité, entre 20 et 30 hl/ha par exemple. Mais le coût de la qualité est là pour ne pas faire oublier au producteur qu’il ne peut sans risque thésauriser ses vins en cave de vieillissement, même si ce dernier augmente la valeur du vin.

La création d’un Cahors «premier cru » n’apportera pas une solution miracle à ce grand écart entre lois du marché et qualité du vin, mais l’établissement d’un vin garanti officiellement de grande qualité aidera sans doute à palier le premier problème des viticulteurs de l’Appellation, la mévente et la baisse des prix. Le pari engagé avec l’aide du « premier cru » réside dans une hausse de prix de vente en corrélation avec l’augmentation de la qualité du produit, sans tromperie du consommateur. Cette hausse des prix de vente des vins les plus titrés, que certains producteurs ont déjà anticipée, devrait entraîner vers le haut toute l’appellation, à la fois vers un relèvement des prix et vers un produit meilleur, par des producteurs plus soucieux de l’acheteur. Posséder des parcelles viticoles aptes à produire du raisin dans la zone «premier cru » ne donne pas de facto cette appellation (comme d’ailleurs pour l’AOC générique). Il existera des viticulteurs moins méticuleux, ou moins volontaires, qui ne chercheront pas ou n’obtiendront pas le label «premier cru ». Au contraire, ceux qui travaillent avec soin à produire la meilleure qualité possible sur des terroirs à plus faible potentiel viticole, hors de la zone de «premier cru Cahors», devrait voir leurs efforts mieux récompensés en trouvant un marché plus étendu. En effet, si le vin «premier cru Cahors» sera plus cher, un vin de qualité simplement AOC avec un bon rapport qualité- prix devrait séduire une clientèle à pouvoir d’achat moyen, plus nombreuse que celle prête à payer un premier cru. Dans tous les cas, seule la qualité doit être l’argument du prix, c’est la définition fixée par la construction d’un Cahors «premier cru ».Faudra-t-il encore que ce vin soit meilleur que l’AOC simple, ce qui impliquera un contrôle prolongé.

Conclusion : pour une géographie utile, alliant recherche fondamentale et appliquée

Nous avons recensé et examiné avec impartialité et objectivité les 21 708 ha de l’appellation Cahors. Tous les critères de proposition de classement en « premier cru Cahors» sont le fruit d’une réflexion commune entre viticulteurs et techniciens, sous l’arbitrage du syndicat de défense de l’AOC, avec l’accord de l’INAO.

Sans revenir aux caractéristiques de l’aire, ce travail possède un caractère novateur sur plusieurs points :

- ce travail s’inscrit dans un vaste cadre de cartographie et de définition des terroirs viticoles lancé depuis de nombreuses années en Val de Loire, en Bourgogne ou encore en Alsace, les vignobles du sud-ouest se sauraient demeurer en reste et essayent, comme à cahors, à partir d’une base cartographique des terroirs telle, avec la réflexion scientifique qu’elle sous-entend, de jeter les fondations d’une aire viticole restreinte au potentiel de la plus grande qualité, aire proposée sous le nom de «premier cru Cahors »,

- cette méthode s’accompagne d’un recensement parcellaire sous la forme d’une base de données qui constitue la fondation d’un véritable Système d’Information Géographique ; chaque parcelle possède une fiche d’identité qui nous renseigne non seulement sur sa proposition au classement en cru ou non, mais aussi sur sa nature et son état ; nous avons là une information de première main sur l’état de l’aire AOC en 1998,

- la recherche géographique montre ainsi qu’elle peut élaborer et appliquer des méthodes de travail scientifique en fonction des besoins de la société ; il en résulte que notre démarche est autonome et exportable, et pas seulement dans le domaine de la viticulture. Nous pouvons imaginer des implications dans d’autres cultures AOC ou non, ou pour des formes d’élevage également.

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Référence électronique

Eric Rouvellac, « De la Cartographie des terroirs de l’aire AOC Cahors à la proposition d’un classement des terroirs en un « Premier Cru Cahors » », Territoires du vin [En ligne], 1 | 2009, publié le 01 février 2009 et consulté le 28 mars 2024. Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1440

Auteur

Eric Rouvellac

Maître de Conférences, Université de Limoges

Droits d'auteur

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