Jean-Marc Bagnol, Le midi viticole au Parlement. Edouard Barthe et les députés du vin de l’Hérault (années 1920-1930), Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2010, 462 p.

Texte

L’ouvrage de Jean-Marc Bagnol comble un vide certain dans le domaine de l’histoire vitivinicole contemporaine comme dans celui de l’histoire politique française durant les années 1920-1930. Tiré de sa thèse soutenue en 2010 à Montpellier, ce livre, décomposé en trois grandes parties, revient sur l’action décisive des élus de l’Hérault en matière de législation vitivinicole au Parlement pendant l’entre-deux-guerres. Ici, l’auteur ne se contente pas d’une approche unilatérale et cloisonnée du sujet. Il n’a cesse de varier les échelles d’analyse, de comprendre le fonctionnement des ces élus du vin dans une approche faisant systématiquement le lien entre le local et le national. En outre, cet ouvrage à pour rare vertu d’envisager la vigne et le vin non comme une fin en soi, mais comme entrée d’analyse vers une histoire des politiques parlementaires de la fin de la Troisième République.

Notons d’entrée, que cet ouvrage très complet comporte de nombreux tableaux, schémas, graphiques ou cartes qui, dans le corps du texte comme en annexe, viennent illustrer et synthétiser avec clarté la réflexion. Les annexes méritent en effet d’être évoquées. Très riches, elles contiennent des informations indispensables et très utiles à la compréhension du sujet. Ainsi, l’auteur n’a pas hésité à réaliser, outre un lexique et une chronologie, une présentation biographique originale de l’ensemble des députés de l’Hérault exerçant pendant la période étudiée. La liste complète des nombreuses sources compulsées complète ces annexes. Nous pouvons juste regretter l’absence d’une bibliographie en fin d’étude, même si l’auteur justifie cela par une contrainte éditoriale et rappel la présence des principaux ouvrages consultés dans les notes de bas de page.

Dans un premier temps, Jean-Marc Bagnol envisage pertinemment de situer les élus qu’il étudie dans leur circonscription. Ainsi, après avoir réalisé une rapide étude prosopographique de ces députés, il montre la place importante de l’ancrage local de ces derniers. Cette appartenance au Midi confère ainsi une légitimité à ces parlementaires qui vont alors axer leurs discours sur les préoccupations sociales et économiques de leurs électeurs. Dans le Midi, et l’analyse des professions de foi réalisée par l’auteur le prouvent, la vitiviniculture s’imposent comment le thème majeur des débats. En dernier lieu, Jean-Marc Bagnol parvient, avec succès de situer les élus de l’Hérault dans l’hémicycle, de décrire leurs méthodes et les arguments qu’ils avancent pour la défense des intérêts viticoles du Midi. On s’aperçoit dès lors du poids conséquent de ces derniers à Paris, pour tout ce qui touche à la viticulture. Une étude quantitative et typologique de leurs interventions à la Chambre des députés apporte enfin des éléments exhaustifs à l’enquête et permet de mesurer concrètement leurs modes d’action.

Afin d’illustrer la position des élus du Midi et les interactions existant avec les députés des autres régions viticoles, l’ouvrage revient avec bonheur sur l’étude du vote de la loi du 4 juillet 1931 (Statut de la viticulture). Une partie de ce chapitre tente alors de situer politiquement les parlementaires héraultais et, par là, d’en dégager les orientations en matière de législation vitivinicole. Si, l’exercice permet d’expliquer certains choix, en particulier ceux d’Edouard Barthe, on peut regretter cependant que l’auteur n’aient pas eu la place pour produire une analyse plus approfondie des courants politiques au sein des partis et des alliances électorales d’occasion, tant au niveau local (enjeux politiques d’arrondissements, débats au sein des Conseils Généraux) que national (analyse de la place des élus du midi dans les jeux de parti, rôle des congrès...).

En parcourant le seconde chapitre intitulée « Agir pour le vin : le lobbying viticole », le lecteur perçoit les multiples leviers institutionnels, politiques et professionnels de l’action pour la défense des intérêts viticoles des administrés du Midi. Une partie de l’analyse est logiquement consacrée à la Commission des Boissons de la Chambre des députés. Sont évoqués sa composition, ses actions et en particulier celles des élus héraultais. L’auteur effectue une étude quantitative précise du nombre de séances auxquelles chacun assiste, des durées d’interventions, de l’absentéisme. Il met en avant les compétences techniques de la Commission, analysant rapports, propositions de lois et arbitrages de cette dernière, en particulier, l’action décisive d’Edouard Barthe, en 1927, lors de la délimitation du Champagne. A ce titre, on aurais malgré tout souhaité une étude plus étayée de cette phase essentielle pour la viticulture de cette région, moment qui montre l’importance des parlementaires de la république et surtout d’Edouard Barthe dans le processus (Cf. travaux de Claudine Wolikow sur le sujet)

La suite de l’ouvrage, consacrée aux autres relais de pouvoir utilisés par les élus du Midi, a capté toute notre attention.

Une fois de plus, l’auteur intègre très pertinemment les jeux d’échelles dans son étude. Son évoqués avec précision les liens et réseaux locaux en rapport avec les actions nationales des élus dont, en premier chef, Edouard Barthe. C’est bien ce personnage qui rythme les pages de l’ouvrage, tant son action et ses fonctions font de lui l’élus incontournable de la vigne et du vin dans le Midi, mais aussi en France et dans le monde (il est élu Président de l’Organisation Internationale de la Vigne et du Vin en 1928). Avec Edouard Barthe essentiellement, l’ouvrage permet de cerner l’ensemble des relais de pouvoir organisés autour des députés du Midi viticole. Localement, Jean-Marc Bagnol explique clairement les liens entre les députés et les syndicats locaux. Il décèle d’ailleurs d’importants désaccords entre Barthe et la toute puissante Confédération Générale du Midi, les points de dissension touchant en particulier la question épineuse, durant les années 1930, du blocage des récoltes à la propriété. Pour contourner le problème, il nous explique que le Président de la Commission des Boissons va alors créer un syndicat sur mesure capable de le soutenir localement. Il fonde ainsi, en 1932, la Ligue des petits et moyens viticulteurs. Ces réseaux locaux ou nationaux gravitent aussi autour d’organes de presse ou d’associations telles que celle des Médecins Amis du Vin ou encore du Comité National de Propagande en Faveur du Vin.

Les très nombreuses et riches archives dépouillées par l’auteur lui permettent donc d’effectuer de récurrents va et viens entre les enjeux locaux et les prises de décisions et débats nationaux. En conclusion de ce chapitre, Jean-Marc Bagnol propose une étude forte intéressante de l’album de souscription rédigé lors du Jubilé d’Edouard Barthe en 1937. Les signatures récoltées pour l’occasion permettent de reconstituer méthodiquement tous les réseaux de pouvoir gravitant autour d’Edouard Barthe et mieux, d’en pointer les évolutions.

Même si cet organisme qui n’est pas directement au cœur du sujet traité est évoqué rapidement, on aurait souhaité que l’auteur s’intéresse également de façon plus approfondie à la Fédération des Associations Viticoles de France et d’Algérie (FAVFA), entité de référence nationale pour les viticulteurs (Les comptes rendus des séances sont déposés aux archives de l’INAO). Ses assemblées, auxquelles assiste systématiquement Edouard Barthe, sont le centre des débats entre groupements professionnels et, semble-t-il, influencent de nombreuses décisions effectuées en Commission des Boissons et décrites par l’auteur.

En dernier ressort, l’auteur s’engage dans une étude approfondie des différentes lois vitivinicoles de l’entre-deux-guerres, textes portées bien souvent par les élus du midi et Edouard Barthe principalement (blocage, limite des rendements, distillations, régime des alcools, défense du carburant national, …). Analysant les débats parlementaires, les archives de la Commission Interministérielle de la viticulture ou encore celles de la Commission des Boissons, Jean-Marc Bagnol nous offre un panorama complet des combats politiques pour la défense de la viticulture durant la période étudiée. Il met en exergue les discussions, controverses (avec l’Algérie et ou les élus du Centre), polémiques liées à la mise en place et au vote de ces textes cherchant à endiguer les crises de surproduction récurrentes dans les années 1930. De remarquables tableaux de synthèse insérés dans les pages de l’ouvrage offrent aux lecteurs une vision condensée des grandes tendances nationales. Par une analyse chronologique prenant en compte l’ensemble des jeux d’acteurs intégrés dans les débats, l’auteur montre toute la portée de l’interventionnisme d’Etat dans les périodes de crise. Il insiste sur le rôle décisif du Parlement au sein de ce mouvement (Commission des boissons et Groupes viticoles au Parlement), mais note le poids croissant du Gouvernement (Commission Interministérielle de la viticulture), en lien avec la Commission des Boisson et les associations professionnelles, dans le processus décisionnel et son application concrète. Cette évolution semble d’ailleurs se confirmer avec le passage du décret-loi du 30 juillet 1935, arsenal législatif anti-crise qui, comme le montre l’auteur, va bien au-delà de la création de l’INAO et des AOC (Cf. également les développements sur la volonté, pour certains, de créer un Office National du Vin).

Les travaux de Jean-marc Bagnol le prouvent clairement : les députés du Midi viticole, Edouard Barthe en tête, jouent un rôle fondamental dans ce processus de lutte contre les crises vitivinicoles de l’entre-deux-guerres. Ils agissent au cœur des réseaux efficients de la République. Portes paroles des viticulteurs de leurs circonscriptions dans les années 1920, ils développent, dans la décennie suivante, les bases d’une politique plus globale, interventionniste, capable d’endiguer la crise de surproduction. Même s’ils ne sont toujours d’accords entre eux (l’auteur pointe d’ailleurs systématiquement les dissensions politiques pouvant exister à tel ou tel moment entre les héraultais), ces élus vont participer fortement à la définition des lois visant à assainir, échelonner et financer le marché des vins, à définir ses normes nationales de production et de commercialisation. Restent quelques points que l’ouvrage n’aborde pas et qui auraient peut-être permis de situer plus largement les élus du Midi, et en particulier d’Edouard Barthe, dans l’ensemble des débats vitivinicoles hexagonaux de la période. Certes, la question du Champagne est évoquée mais, un épisode clef comme la tournée de la Commission des Boissons dans les régions viticoles de France en 1930-1931 aurait pu être relaté, étudié. Il s’agit là, en effet, d’un moment politique déterminant : le parlement de la République, sous la conduite d’Edouard Barthe, investit les campagnes, vient écouter la ruralité et rendre son arbitrage. Le passage du Président Barthe dans les régions ou se mettent en place les appellations d’origine, territoires où de multiples conflits demeurent, est ainsi déterminant pour la future configuration du vignoble national.

Quoi qu’il en soit, cet ouvrage pionnier, très fourni en informations et qui s’appui sur un nombre considérable de sources d’archives convie lecteurs de tous horizons et chercheurs à se pencher sur les rapports entre le local et le national. Il aide également à mieux comprendre les lieux de pouvoirs et de décisions des parlementaires sous la Troisième République, en particulier avec son étude inédite de la Commission des Boissons. Il évoque enfin avec pertinence et nouveauté les problématiques difficiles d’interactions et d’influences réciproques entre acteurs de la viticulture et monde politique. Cette étude n’est pas seulement nécessaire à l’appréhension de l’histoire vitivinicole française, elle s’inscrit dans une démarche d’analyse plus générale applicable à d’autres vignobles et d’autres terrains.

Citer cet article

Référence électronique

Olivier Jacquet, « Jean-Marc Bagnol, Le midi viticole au Parlement. Edouard Barthe et les députés du vin de l’Hérault (années 1920-1930), Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée, 2010, 462 p. », Territoires du vin [En ligne], 4 | 2012, . Droits d'auteur : Licence CC BY 4.0. URL : http://preo.u-bourgogne.fr/territoiresduvin/index.php?id=1393

Auteur

Olivier Jacquet

MSH de Dijon, UMS CNRS 2739 Chaire UNESCO « Culture et Traditions du Vin » Université de Bourgogne

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